La Légion Des Damnés
micmac déplorable, nous avions été bombardés en piqué par nos propres Stukas.
Quelques jours après, nous étions dans le bain, une fois de plus, avec de nouveaux tanks et de nouveaux équipages ramenés en hâte de Kharkov.
C'est à ce moment-là que je découvris, à mon horreur profonde, comment la guerre peut vous empoisonner l'esprit.
J'ai toujours haï la guerre, et je la hais encore aujourd'hui ; et cependant, j'ai fait ce que je n'aurais jamais dû faire, ce que je haïssais et condamnais et je regretterai toujours de l'avoir fait et ne comprendrai jamais comment j'ai pu le faire...
Je vois, dans mon périscope, un fantassin russe bondir hors d'un trou et foncer à corps perdu vers l'entonnoir suivant. Automatiquement, je l'ajuste et lâche une courte rafale de mitrailleuse. Les balles fouettent la terre autour de lui, mais aucune ne le touche. A l'approche de notre tank, il ressort du deuxième trou et gagne le suivant, cavalant comme un lièvre. A nouveau, les balles font jaillir la terre autour de lui. Pluton se met également de la partie, mais le manque à son tour. Riant aux larmes, Porta hisse Staline jusqu'à l'une des fentes d'observation, afin qu'il puisse jouir du spectacle.
— Regarde un peu le travail de nos tireurs d'élite !
Le soldat russe doit être aux trois quarts fou de terreur, car il tourne en rond, maintenant. Nos mitrailleuses crachent. Il court toujours ! Impossible. Vrai, pourtant. Le Vieux et Stege rient presque aussi fort que Porta, et Stege s'exclame :
— Bon sang, vous n'êtes pas foutus de buter cet en-foiré !
Le type vient de plonger dans un autre entonnoir. Je braque mon lance-flammes et darde un jet de feu à ras du sol. Puis je me retourne vers le Vieux et ricane :
— S'il Se relève encore après ça...
Nous massacrâmes un régiment cerné qui, tout périscope !
Je n'ai jamais vu chose pareille. Noir de suie, mais indemne, le biffin cavale de plus belle, s'engouffre dans une maison. Porta, Stege, Pluton, le Vieux, rigolent tout ce qu'ils savent. C'est un point d'honneur, à présent, pour moi, que de supprimer ce pauvre bougre. J'arrose la maison jusqu'à ce qu'elle flambe-
Un point d'honneur. Comment ai-je pu faire ca ? Comment ai-je pu m'acharner sur un homme pour satisfaire mon amour-propre, ma vanité ?
Mais je l'ai fait, et j'en porterai toujours le remords. La guerre avec son fracas, ses flammes, ses assassinats routiniers, m'avait insidieusement putréfié, empoisonné comme les autres.
Même le Nazi le plus fanatique devait admettre que la grande offensive allemande était un échec, car nous préparions un repli de large envergure. Un dernier effort surhumain était fait, tout au long du front, pour essayer de renverser, in extremis, la fortune des armes. Notre compagnie alla jusqu'à Biriutsk, surprit une unité de cavalerie au repos et l'anéantit. A bout portant, en quelques minutes, nous transformâmes hommes et chevaux en un hachis hurlant, sanguinolent, d'êtres épouvantés et d'animaux ruant au hasard. Puis nous nous retirâmes, car des forces considérables de T-34 venaient d'être dépêchées à notre rencontre.
Partout, c'était la même chanson. Durs combats. Pertes inimaginables.
Nous massacrâmes un régiment cerné qui, tout comme notre 104 e Grenadiers, n'avait pu, ou voulu se rendre. Trois heures d'arrosage méthodique. Leurs cris étaient effroyables. Quand vint l'ordre de cesser le feu, le spectacle était apocalyptique : armes et camions pulvérisés, soldats incroyablement mutilés, et pas un homme parmi ces soldats, rien que des femmes, dont beaucoup avaient été jeunes et jolies, avec d'adorables dents blanches et des petites mains soignées. Ce magnifique fait d'armes eut lieu à moins de deux kilomètres à l'est du village de Livny.
Le visage du Vieux était verdâtre.
— Il faut jurer que celui d'entre nous, ou ceux d'entre nous, qui survivront à ce carnage, écriront un livre sur cette saloperie à laquelle nous participons. Un livre qui fasse comprendre aux peuples, allemand, russe, américain, à tous les peuples, quelle immonde connerie que la guerre ! Un livre qui rende impossible l'existence de tous ces fumiers de porteurs de médailles et de claqueurs de sabres...
Nous avions l'ordre, en nous repliant, de tout détruire. Le résultat — la fameuse tactique de la « terre brûlée » — est presque impossible à décrire. Ponts, villages, routes et voies de chemin de fer étaient dynamités. Les
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