La Légion Des Damnés
vainqueur est celui qui porte le premier coup. Je vise le collier de roulement, à la base de la tourelle. C'est le défaut de la cuirasse des T-34. Les chiffres du périscope dansent devant mes yeux... Puis les points opposés du mécanisme de visée se rencontrent et deux obus jaillissent, presque simultanément, de la gueule du canon. La tourelle du T-34 vole dans les airs. L'équipage n'a pas le temps de quitter l'engin. Tout explose. Un de plus à notre tableau de chasse.
Combats furieux, acharnés, parmi les maisons en flammes. Retranchée dans l'une d'elles, une mitrailleuse russe tire sur notre infanterie. Porta fait pivoter notre tank. Un nuage de briques et de plâtre vole dans toutes les directions tandis que nous broyons la façade. Les Russes se pressent contre le mur opposé, fous d'épouvante. Notre mitrailleuse les couche, nos chenilles les réduisent en purée. Nous ressortons au sein d'un brouillard de poussière et de chaux. Quelques cadavres de plus à notre tableau de chasse.
Un peu plus loin, une douzaine de biffins tentent de se mettre à couvert. Ils s'étalent sur la terre grasse, nous aperçoivent, se relèvent et foncent vers la plus proche maison. L'un d'eux se coince le pied dans un trou. Avant qu'il ne puisse se libérer, il jaillit en bouillie sanglante de dessous nos chenilles. Un seul homme de plus à notre tableau de chasse.
Piètre récolte pour nous autres robots.
Nous culbutons les arbres, pulvérisons les murs, écrasons des hommes en uniforme kaki. Il faut avoir séjourné à l'intérieur d'un tank frappé par un projectile pour savoir ce que c'est qu'un impact. Le canon, trop mesquin pour nos blindages, qui cherche à nous endommager, est retranché avec ses servants derrière un mur de grosses pierres.
— Un petit coup de lance-flammes, et un obus spécial comme dessert ! ordonna le Vieux.
J'ajuste hâtivement le lance-flammes et l'obus spécial de calibre 10,5 atteint le canon en même temps que la langue de feu. Quand nous passons par-là trois minutes plus tard, il ne reste rien qu'une masse tourmentée, noire, méconnaissable, sur laquelle dansent encore quelques flammes.
En avant, en avant. L'herbe ne pousse plus où le tank a passé. Quand on a assisté aux massacres de ce printemps 1943, on se rend compte à quel point la tête de mort peut être l'emblème qu'il faut aux divisions blindées. De loin en loin, nous devons marquer une pause pour regarnir nos réservoirs et nos soutes à munitions. Pour réviser, aussi, rapidement, nos moteurs. Tout char qui tombe en panne au cœur d'une bataille se trouve, en moins de trois minutes, criblé comme une écumoire.
Les Russes nous opposent d'importantes formations de T-34, puissants, rapides, d'une maniabilité étonnante. C'est seulement avec nos tout derniers types de chars, Panthères et Tigres, que nous pouvons relever leur défi. Fantassins russes et allemands se tiennent à carreau durant cette gigantesque bataille de cuirassés terrestres, la plus grande bataille de blindés de ce deuxième conflit mondial. La nuit tombe, mais en dépit des pertes effrayantes d'hommes et de matériel, le combat se poursuit dans la steppe ukrainienne.
Quelques heures de sommeil, pendant que les équipes de ravitaillement remplissent réservoirs et soutes. Puis les ravitailleurs nous secouent, nous poussent, mal réveillés, vers notre tank, nous collent notre équipement sur le dos, nous aident à grimper dans la machine. Je vois, vaguement, un Feldwebel passer Staline à Porta. Puis le moteur démarre avec son rugissement habituel.
Quand, après quatre nouveaux jours de bataille, descend enfin l'accalmie, le 27 e Blindé a pratiquement cessé d exister. Les épaves tordues de nos chars jonchent la steppe. Nous en avons encore deux. Sur quarante. Et dix-huit survivants. Sur quatre cents. La plupart des équipages ont grillé dans leur machine. Partout, sur quatre à cinq kilomètres de profondeur, brûlent aussi les T-34.
Ceux qui ont échappé à. la mort, plus ou moins cuits, plus ou moins mutilés, en ont pour des mois, des années peut-être à hurler de douleur.
De nouveaux tanks, de nouveaux équipages arrivent chaque nuit. Les chars encore utilisables doivent être tenus prêts à servir, avec ceux des autres régiments. Des autres débris de régiments. Nous essayons de dormir chaque fois que l'occasion s'en présente, tète pressée contre la culasse d'un canon, contre la gaine d'un périscope. Le lendemain, la
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