La Légion Des Damnés
qui portât, en Russie, la tenue tropicale, mais le Kommandofeldwebel en avait dûment couché l'autorisation sur le fascicule modèle réduit qu'il trimbalait, selon la règle, dans sa poche de poitrine droite. Les mouchards pouvaient y venir. Rien ne clochait dans la situation militaire de l'Obergefreiter Staline, du 27 e Blindé, 51 e Compagnie.
A notre arrivée, les hommes du 14 e Chasseurs nous firent cette recommandation :
— Vous avisez pas de tirer sur Ivan ! C'est des mecs de première, là-bas en face î On s'entend au quart de poil...
Est-ce que le soleil russe leur avait un peu trop tapé sur le crâne ?
Mais il était à peine levé, ce fameux soleil, que la fête commençait, chez Ivan. Cris et rires et chansons joyeuses. Rien qu'à les entendre, on pigeait tout de suite qu'ils n'engendraient pas la mélancolie. Puis quelques-uns d'entre eux apparurent sur le parapet de leurs tranchées, nous lancèrent des « Bonjour ! » et des « Salut, les gars ! » et nous demandèrent très poliment si nous étions les nouveaux, si nous avions bien dormi et si leur chien ne nous avait pas trop dérangé, en aboyant à la lune. L'instant d'après, ils dégringolaient tous hors de leur tranchée, complètement à poil, cavalaient jusqu'à la rive opposée du Donetz et piquaient une tête dans l'eau miroitante, pendant que nous roulions des yeux effarés.
Du fleuve, ils nous appelèrent, hurlant et s'aspergeant les uns les autres :
— Grouillez-vous de rappliquer ! Elle est formidable, aujourd'hui !
Le temps de balancer nos fringues et tout le monde fonça, Porta en tête, vers l'eau tentatrice. Staline était de la fête, et les Russes faillirent se noyer à force de rire quand ils apprirent que notre matou s'appelait Joseph Vissarionovitch Staline.
— Voilà comment je comprends la guerre t nous beugla un sous-off soviétique.
Nous étions tous d'accord là-dessus, et poussâmes trois hourras pour la Russie. Les Russes, bien entendu, poussèrent ensuite trois hourras pour l'Allemagne.
Le Vieux exultait, les yeux brillants de plaisir.
— Ça, c'est du billard ! Quand on en parlera chez nous, on se fera traiter de menteurs !
La journée nous réservait bien d'autres surprises. Il y avait, par exemple, un arrangement avec les Russes. Ils tiraient quelques obus chaque après-midi, entre quatre et cinq heures trente, tandis que nous tirions les nôtres entre trois et quatre et demie, tous les pruneaux retombant bien sagement dans le no man's land. Ça ne faisait de mal à personne et les généraux étaient satisfaits. Quand nous tirions à la mitrailleuse ou à l'arme de poing, c'était en l'air, comme de juste. Une fusée rouge à quatre étoiles signifiait que lés Russes avaient un haut gradé sur le poil et qu'ils allaient devoir nous canarder un brin. Une fusée verte signalait, de même, la fin de l'inspection.
Nous avions, ainsi, toutes sortes de signaux qui contribuaient à rendre agréable l'existence de tout un chacun et, naturellement, nous nous rendions visite, nous nous invitions mutuellement à dîner et à boire de la vodka. Le troc et le négoce fonctionnaient à plein régime ; schnaps, tabac, conserves, armes, couvertures, montres, journaux et magazines. Les illustrés étaient fort recherchés et quand nous tombions sur des photos particulièrement intéressantes, nous allions demander aux Russes la traduction des textes et légendes. A charge de revanche, bien entendu.
Quand nous étions dans nos quartiers d'Achtyrka, nous avions malheureusement la corvée d'instruire les recrues qui rappliquaient toujours d'Allemagne. Instruire des recrues est un boulot assommant, surtout quand on ne voit pas du tout à quoi ça pourra servir.
Notre plus beau coup fut celui du camion que nous soulageâmes en douce de dix-huit bouteilles et d'un baril de cinquante litres d'excellent cognac français. Sur ces fondations assurées, nous organisâmes un festin. Trente œufs, trois poulets, dix livres de pommes de terre, des pruneaux et des tomates en boîte, ne nous coûtèrent que cinq bouteilles de cognac. On farcit les poulets avec les pruneaux, les tomates et pas mal d'autres choses, on versa une bouteille de cognac sur le tout, on fit cuire et on dégusta. Miammiam. (Commentaire personnel de Staline.)
Un autre jour, Porta se fit prêter le cheval d'un des Cosaques du régiment de volontaires combattant à nos côtés. Comme Porta n'était jamais monté sur un cheval, le bourrin finit avec
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