La Légion Des Damnés
pas cinglé de sonner comme ça à cette heure de la nuit ?
— Ma blessure s'est rouverte. Je sens ça sous mes bandages...
J'étais fou de terreur et voyais déjà ma mère s'effondrer sur le sol au reçu de la classique carte postale de l'armée :
« Il est mort en héros pour le Führer et la Patrie... »
L'infirmière repoussa mes couvertures. Par égard pour les autres malades, elle n'alluma pas la lumière, mais se servit d'une torche électrique. Avec adresse et rapidité, elle défit mes bandages. Le silence de la salle n'était troublé que par les murmures d'un jeune blessé qui parlait dans son sommeil. Zepp s'était assis dans son lit, mais l'infirmière le repoussa fermement sur son oreiller.
— Restez tranquille et dormez sur vos deux oreilles, lui dit-elle. C'est une affaire entre Sven et moi... Ne bougez pas, je vais chercher une cuvette.
Je lançai à Zepp un regard effrayé, qu'il me rendit avec usure. L'infirmière revint et, sans prononcer une syllabe, me lava. Elle avait un petit sourire et finalement, devant mon expression hagarde, murmura :
— Il n'y a pas de quoi faire une tête pareille...
— Ça vous va bien de dire ça ! C'est pas vous qui avez une hémorragie...
Elle ne répondit pas, mais son sourire s'accentua. Je trouvai enfin le courage de m'informer :
— C'est... c'est peut-être pas tellement grave ?
— Hon-hon, c'est pas grave du tout !
Quand elle eut refait mon pansement, elle rabattit sur moi les couvertures et me regarda.
— Ça n'était pas du sang, Sven...
— Pas du sang ? Mais j'ai bien senti...
Je n'oublierai jamais son sourire complice. Puis je rougis jusqu'à la racine des cheveux, affreusement embarrassé.
— Vous avez rêvé, mon petit. C'est un excellent signe !
Elle me flanqua une tape au menton et se dirigea vers la porte avec sa cuvette.
— Eh ! c'est sûrement de vous qu'il a rêvé ! lança Zepp.
— Fermez-la, voulez-vous, et dormez, tous les deux !
Puis elle s'éclipsa, toujours souriante.
Je passai avec Stege une partie de ma convalescence. il était déjà question, pour lui, remonter au front.
Ses nuits étaient agitées, et je devais fréquemment lui demander de la boucler. Mais quelques minutes s'étaient à peine écoulées qu'il redémarrait :
— Sven, tu dors ?
J'essayais de me couvrir par-dessus la tête.
— Sven !
— Ouais. Qu’est-ce que tu as encore ?
— Margaret dit qu'il y aura des cours spéciaux de douze mois pour les démobilisés, à la fin de la guerre. Est-ce que tu n'as pas entendu parler de ça ? Ecoute, Sven, grille une dernière cigarette avec moi, quoi!... Tu ne trouves pas que Margaret est une fille comme...
— Oh! pour l'amour du ciel...
Je devais être saturé de nicotine jusqu'aux moelles. A chaque instant, il quittait son lit pour venir s'asseoir sur le bord du mien et m'expliquer tout ce qu'ils feraient, lui et Margaret, quand la guerre serait finie.
Tous mes voeux de longue maladie
Un jeudi de décembre 1943, le toubib signa ma feuille de guérison et m'annonça que je partais le samedi suivant pour rejoindre mon unité.
— Désolé de vous jouer ce sale tour, mon petit. En bonne logique, vous devriez rester ici encore cinq ou six semaines. Maintenant, il va falloir que vous vous arrangiez au mieux. Je ne sais pas si vous aurez beaucoup à manger là-bas, mais tâchez de bouffer le plus possible. C'est seulement comme ça que vous pourrez tenir le coup, du moins, je l'espère...
Ainsi me parla le médecin-chef de l'hôpital militaire de Truskawice. C'était un toubib hors ligne, qui cherchait toujours à garder ses patients le plus longtemps possible. Mais les ordres du haut commandement stipulaient à présent que cinquante pour cent au moins des blessés et malades en cours de traitement devaient être déclarés aptes à reprendre du service, et promptement renvoyés à leurs unités. S'il fallait en croire le règlement, cependant, tout médecin coupable d'avoir ordonné la sortie d'un malade insuffisamment rétabli pouvait être traduit devant le conseil de guerre.
Tels sont les miracles dont on est capable, en haut lieu ! (En si haut heu qu'on n'y respire pas le même air que la masse du troupeau...) Un certificat de guéri-son, un tampon de caoutchouc, un conseil de guerre et voici les ingrédients dont on tire les soldats bien portants. Que la plupart de ces soldats bien portants fussent un fardeau catastrophique pour leurs unités, en obligeant leurs
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