La Légion Des Damnés
approuva cette profession de foi et la table fut dressée, avec deux serviettes propres en guise de nappe, et les couvercles de nos gamelles en guise d'assiettes. Débarbouillage, nettoyage des ongles, brossage des cheveux et des uniformes, voire un coup de chiffon aux chaussures, nous demandèrent une vingtaine de minutes. Après quoi nous nous assîmes « à table » et mangeâmes avec recueillement le gâteau de Barbara, en buvant le jus d'avocat de Margaret
— C'était bien, là-bas ?
— C'était formidable !
Ils attendaient de moi un récit détaillé, riche de parfums, de couleurs, de sons oubliés. Je pensai vaguement : « C'est maintenant qu'il faut leur donner le meilleur de toi-même », réfléchis un bon moment et commençai :
— Leurs vêtements étaient les plus propres que vous ayez jamais vus. Quand elles se penchaient pour retaper votre lit ou tirer le drap, on sentait cette odeur de linge fraîchement repassé, légèrement amidonné, qu'on vient de sortir de l'armoire. Une odeur absolument étrangère à toute saleté, une odeur « sèche », comme un tout petit peu brûlée. En dehors de leur service, elles portaient leurs propres vêtements, qui n'étaient pas moins immaculés, et sentaient quelque chose de léger, quelque chose de chaud et de frais en même temps.
Elles avaient des robes. Je me souviens d'une, en soie bleu ciel, avec des oiseaux blancs et gris clair. Elle avait des manches courtes, et elle était toute plis-sée autour du cou, des plis qui se déployaient dans le dos et sur les seins. Quand on tirait sur une cordelière de soie blanche, on découvrait les épaules, mais il fallait aussi dénouer les petites cordelières des manches « gigot ». C'était la robe de Barbara. De ma Barbara. Margaret — celle d'Hugo — avait une robe d'un beau rouge flamme en une sorte de lainage léger qui moulait son corps comme une couche de peinture. Quand elle pivotait sur elle-même, on aurait dit une flamme. Et puis il y en avait une autre qui portait une jupe à plis qui se déployait autour d'elle et qui était toujours un peu en retard sur ses mouvements... Je fermai les yeux pour mieux revoir Barbara et continuai d'un ton qui était presque un chant de gloire :
Celle qui avait la robe bleu ciel... la mienne... Barbara... Une fois que les cordelières étaient défaites et que j'avais trouvé les deux boutons-pression et l'agrafe, sur le côté, toute la robe glissait jusqu'à terre et elle était là, debout sur une sorte de nuage bleu répandu autour de ses chevilles... Elles étaient aussi propres, aussi merveilleusement parfumées que leurs vêtements...
— Parfumées ?
— Oui, Porta, laisse-moi vous expliquer... Elles étaient aussi propres qu'un fusil avant l'inspection, à la caserne. Leurs cheveux brillaient comme le Danube par une nuit d'hiver, quand les rayons de la lune font étinceler sur la glace des millions de diamants. Et leur corps avait le parfum des grands bois de la Bérésina, par un matin de printemps, juste après la pluie. Est-ce que vous pouvez imaginer ça ?
Pendant des heures, je dus décrire ainsi les merveilles du monde dans lequel j'avais vécu. Ils n'étaient jamais rassasiés, et n'en croyaient pas leurs oreilles.
— Y a une chose que je comprends pas, dit Pluton. C'est comment y se fait qu'après avoir mené une existence de prince oriental, avec des gâteaux et du canard rôti et du pinard et tout, avec un harem pour te dorloter et te bercer la nuit, tu nous rappliques épais comme un fil de fer !
Il fallut que je leur explique alors comment Stege, moi, Zepp et un quatrième type avions acheté pour trois cents cigarettes, après guérison de nos blessures, deux bouteilles d'eau contaminée, l'une de germes typhoïdiques, l'autre, de microbes du choléra.
— Stege vous a raconté ça ? On a tous été malades à crever. Zepp est toujours paralysé jusqu'à la ceinture et le quatrième bougre en est mort. Je suis resté dans le cirage pendant dix-neuf jours et après ça, impossible de bouffer. C'est Barbara et une aide polonaise qui m'ont alimenté de force, une cuillerée à la fois, pendant une bonne quinzaine. Le toubib m'a déclaré foutu cinq fois. Ils m'ont injecté toutes sortes de saloperies, glucose, sérum physiologique et tout le bazar. Et maintenant, on m'a viré six semaines trop tôt. Heil Hitler !
— Est-ce qu'elles avaient aussi des bas avec le talon renforcé ?
— Bien sûr î
Secouant la tête, ils
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