LA LETTRE ÉCARLATE
eussent été à l’origine, les rayons qui transmettaient sa vie morale à l’enfant à naître avaient dû traverser l’état de passion de la mère. Ils s’étaient teintés au passage des reflets de larges taches cramoisies et d’une flamme ardente, obscurcis d’ombres noires. C’était l’état de guerre où se trouvait en ce temps-là l’esprit d’Hester qui continuait chez Pearl. La mère pouvait reconnaître son humeur d’alors, rebelle, désespérée, portée aux défis, capricieuse. Elle reconnaissait même ces accès de mélancolie qui avaient pesé comme de lourds nuages sur son cœur. Ils étaient à présent illuminés par la clarté matinale des dispositions d’une enfant mais, plus tard, pourraient bien engendrer orages et tornades.
La discipline familiale était beaucoup plus sévère en ces temps qu’elle ne l’est de nos jours. Les froncements de sourcils, les dures réprimandes, les coups de verge prescrits par les Écritures {45} étaient pratiqués non seulement à titre de punition lorsqu’il y avait eu faute, mais comme un sain régime qui développait au mieux toutes les vertus enfantines. Hester, mère aimante d’une enfant unique, ne courait guère le risque de se laisser égarer par une trop grande sévérité. Cependant, elle avait charge d’âme et, comme elle n’oubliait pas ses erreurs et ses peines, elle s’efforça d’exercer de bonne heure sur sa petite fille une autorité tendre mais des plus fermes. Seulement, cette tâche se révéla au-dessus de son pouvoir. Après avoir essayé des sourires et des regards sévères et dû constater qu’aucun de ces deux moyens n’avait de résultats appréciables, Hester finit par être obligée de laisser l’enfant suivre ses impulsions. La force physique était, bien entendu, efficace tant qu’elle s’exerçait. Quant à toute autre forme de discipline, qu’elle s’adressât à son esprit ou à son cœur, Pearl y était ou n’y était pas sensible selon le caprice du moment. Elle était encore toute petite que sa mère avait appris à lui connaître certaine expression qui avertissait qu’instances, paroles de persuasion, prières seraient peine perdue. Cette expression avait quelque chose de si intelligent et cependant de si inexplicable, de si têtu, de si malicieux quelquefois, tout en étant généralement accompagnée d’un grand déploiement d’entrain, qu’Hester ne pouvait s’empêcher de se demander, alors, si Pearl était bien une enfant humaine. Elle faisait plutôt penser à un sylphe qui, après s’être amusé quelque temps à des jeux fantasques sur le sol de la chaumière, s’envolerait avec un sourire moqueur. Toutes les fois qu’elle apparaissait dans les profonds, brillants, inapprivoisables yeux noirs, cette expression semblait rendre la petite fille étrangement inaccessible. On aurait dit qu’elle était en suspens dans les airs, prête à s’évanouir comme une lueur venue d’on ne savait quel endroit pour s’en aller on ne savait vers quel autre. Hester était, en de pareils moments, obligée de se précipiter vers l’enfant, de poursuivre ce petit lutin qui toujours alors prenait la fuite, de s’en saisir, de l’écraser contre sa poitrine et de le couvrir de baisers moins par débordement de tendresse que pour se prouver que Pearl était en chair et en os et non un petit être illusoire. Mais le rire que Pearl faisait entendre quand elle était ainsi capturée, bien que musical et joyeux, rendait la mère plus perplexe encore.
Frappée au cœur par ce maléfice troublant qui venait si souvent se mettre entre elle et son seul trésor, qu’elle avait payé si cher et qui représentait tout son avoir au monde, Hester éclatait parfois en sanglots passionnés. On ne pouvait pas savoir alors comment réagirait Pearl. Parfois, elle fronçait les sourcils, serrait son petit poing, prenait un air dur et mécontent. Assez souvent, elle se remettait à rire et plus fort qu’auparavant, comme incapable de rien ressentir ou comprendre d’une douleur humaine. Ou bien, mais c’était là ce qui lui arrivait le plus rarement, prise d’une rage de désespoir, elle criait son amour pour sa mère d’une voix tout entrecoupée de sanglots et semblait chercher à prouver qu’elle avait un cœur en le brisant. Mais Hester ne pouvait se fier à ces élans : ils passaient aussi vite qu’ils étaient venus.
En songeant à toutes ces choses, la mère se sentait dans le cas de quelqu’un
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