LA LETTRE ÉCARLATE
qui aurait évoqué un esprit mais se trouverait, par suite de quelque irrégularité de son opération, démuni du mot magique qui, seul, aurait eu de l’autorité sur cette intelligence nouvelle et impénétrable. Elle n’était vraiment en paix que lorsque l’enfant était placidement endormie. Alors, elle ne doutait plus et goûtait des heures de bonheur tranquille, délicieux, mélancolique jusqu’à ce que, l’expression perverse luisant peut-être sous ses paupières entrouvertes, la petite Pearl s’éveillât.
Comme le temps s’écoula vite ! et que la petite Pearl dépassa donc rapidement l’âge où seuls lui étaient intelligibles les sourires de sa mère et les petits mots qui ne veulent rien dire ! Elle était à même d’avoir une vie sociale à présent. Quel bonheur c’eût été pour Hester Prynne d’entendre la petite voix claire de sa fille gazouiller parmi d’autres, de la reconnaître au milieu du tapage de tout un groupe d’enfants en train de s’amuser ! Mais ceci ne pourrait jamais être. Pearl était née paria dans le monde enfantin, lutin du mal, conséquence et emblème du péché ; elle n’avait pas droit de cité parmi les petits chrétiens. Rien de plus frappant que l’instinct qui sembla tout de suite faire comprendre à l’enfant qu’il lui fallait rester seule, que le destin avait tracé autour d’elle un cercle infranchissable, bref que sa situation vis-à-vis des autres enfants était particulière. Depuis sa sortie de prison, Hester ne s’était jamais montrée en public sans sa fille. Toutes les fois qu’elle était venue en ville, Pearl était avec elle – d’abord tout petit enfant que l’on tient dans les bras ; ensuite petite fille qui trottine aux côtés de sa mère lui donnant la main et faisant quatre pas tandis que la grande personne en fait un. Elle voyait sur les bords herbeux de la rue, ou au seuil des maisons, les enfants de la colonie s’amuser à la façon sinistre que permettait leur éducation puritaine. Ils jouaient à se rendre au Temple, peut-être, ou à honnir des Quakers, ou à conquérir des scalps dans des batailles pour rire entre Indiens et Chrétiens, ou à se faire peur en imitant des pratiques de sorcellerie. Pearl les regardait très attentivement mais ne cherchait jamais à entrer en rapports avec eux. S’ils lui parlaient, elle ne répondait pas. S’ils se rassemblaient autour d’elle, comme ils le faisaient quelquefois, Pearl devenait positivement terrible dans son impuissante colère de toute petite fille, ramassant des pierres pour les leur jeter, avec des exclamations aiguës, incohérentes qui faisaient trembler sa mère tellement elles évoquaient des anathèmes de sorcière lancés dans une langue inconnue.
Les petits Puritains, étant la plus intolérante engeance qui eût jamais vécu, saisissaient qu’il y avait désaccord entre les façons ordinaires et celles de la mère et de l’enfant. En conséquence, ils les méprisaient de tout leur cœur et les insultaient parfois de toute leur langue. Pearl se rendait compte de leurs sentiments et les leur revalait avec la plus haineuse amertume qui se puisse imaginer chez une enfant. Pour la mère, ces farouches explosions de rage avaient leur prix, étaient même réconfortantes : elles révélaient tout au moins un état d’esprit intelligible, une tendance à prendre quelque chose au sérieux et non plus ces déconcertantes dispositions fantasques. Elle n’en était pas moins épouvantée de discerner, là aussi, un reflet du mal qui l’avait autrefois habitée. Toute cette haine, cette passion, Pearl l’avait inaliénablement héritée d’elle. Mère et fille se tenaient à part, répudiées par la société, et toutes les agitations, toutes les inquiétudes qui tourmentaient la mère avant la naissance de son enfant, semblaient se perpétuer chez Pearl, tandis qu’elles commençaient à s’estomper chez Hester sous l’adoucissante influence de la maternité.
À la maison – à l’intérieur et autour de la chaumière de sa mère – Pearl ne manquait pas de compagnie. Son esprit créateur ne cessait de tout animer autour d’elle et communiquait la vie à mille objets, comme une torche allume une flamme à tout ce qu’elle approche. Les matériaux les plus inattendus – un bâton, un chiffon, une fleur – étaient les marionnettes de Pearl : sans avoir même eu besoin de les changer tant soit peu de forme, elle leur faisait jouer le
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