LA LETTRE ÉCARLATE
cri qui semblait monter d’un insondable abîme de remords et de douleur. Vous qui m’avez aimé ! Vous qui m’avez tenu pour un saint ! Regardez et voyez ici en moi le seul pécheur du monde ! Enfin ! Enfin ! Me voici à l’endroit où j’aurais dû me tenir il y a sept ans, aux côtés de cette femme dont le bras, plus que le peu de force qui m’a mené jusqu’ici, me soutient en ce terrible moment, m’empêche de m’écrouler devant vous face contre terre ! Voyez la lettre écarlate sur la poitrine d’Hester Prynne ! Elle vous a tous fait frissonner ! Partout où allait Hester Prynne, toutes les fois que misérablement accablée sous pareil poids Hester Prynne cherchait un peu de repos, ce signe répandait autour d’elle répugnance et horreur ! Or, il y avait quelqu’un parmi vous qui portait aussi la marque du péché et cette marque infamante ne vous faisait pas frissonner !
Ici, il sembla que le pasteur allait être contraint de laisser irrévélé le reste de son secret. Mais il surmonta la faiblesse – faiblesse de son cœur surtout – qui tentait de le dominer. Il repoussa toute aide d’un mouvement passionné, avança d’un pas en avant de la femme et de l’enfant.
– Elle était pourtant sur lui ! poursuivit-il avec une façon de défi farouche, tant il était décidé à tout dire. L’œil de Dieu la voyait ! Les anges ne cessaient de la montrer du doigt ! Le démon la connaissait bien et l’irritait continuellement de son ongle de feu ! Mais cet homme la dissimulait habilement aux yeux des humains. Il marchait parmi vous tel un pur esprit affligé parce que trop innocent pour ce monde de pécheurs, triste parce que séparé de sa parenté céleste ! Maintenant, à l’heure de sa mort, le voici devant vous. Il vous demande de regarder de nouveau la lettre écarlate d’Hester ! Il vous dit que dans toute son horreur mystérieuse, elle n’est que l’ombre de la marque qu’il porte, lui, sur sa poitrine et que cette marque – ce stigmate rouge – n’est à son tour que le pâle symbole du tourment qui l’a ravagé au profond de son cœur. S’en trouve-t-il parmi vous qui mettent en doute la condamnation d’un pécheur par son Dieu ? Qu’ils regardent et en voient la terrible preuve !
D’un geste convulsif, il arracha le rabat sacerdotal qui couvrait sa poitrine. Et la révélation eut lieu ! Mais il serait irrévérencieux d’en donner une description. Durant un instant, le regard de la multitude, frappée d’horreur, se concentra sur cet effrayant miracle tandis que le pasteur se dressait, une flamme de triomphe au visage, comme quelqu’un qui, au milieu d’un accès de douleur entre tous aigu, a remporté une victoire. Puis il s’affaissa sur le plancher du pilori ! Hester Prynne le souleva à demi et lui appuya la tête sur sa poitrine. Le vieux Roger Chillingworth s’agenouilla à côté de lui d’un air morne et comme vidé de vie.
– Tu m’as échappé ! répéta-t-il à maintes reprises, tu m’as échappé !
– Dieu veuille te pardonner ! dit le pasteur. Tu as grièvement péché, toi aussi !
Il détourna ses regards d’agonisant du vieil homme et les fixa sur la femme et l’enfant.
– Ma petite Pearl, dit-il faiblement – et il y avait sur son visage un sourire doux, semblable au sourire d’un esprit en train d’enfoncer en un profond repos : à présent que son fardeau ne lui pesait plus, il semblait presque qu’Arthur Dimmesdale allait se montrer enjoué avec l’enfant. Chère petite Pearl, ne me donneras-tu point un baiser maintenant ? Tu t’y refusas là-bas dans la forêt. Mais, maintenant, voudras-tu ?
Pearl lui baisa les lèvres. Un charme venait de se rompre. La grande scène de douleur où cette enfant sauvage avait eu un rôle venait de développer en elle tous les pouvoirs de la sympathie. Les larmes qu’elle faisait couler sur le visage de son père étaient la preuve que cette petite révoltée grandirait, non pour tenir à jamais tête au monde, mais pour en faire partie en tant que femme qui en éprouve les joies et les douleurs. Et ce rôle de messagère d’angoisse que Pearl avait rempli auprès de sa mère était terminé lui aussi et allait être remplacé par un autre tout différent.
– Hester, dit le pasteur, adieu !
– Ne nous rencontrerons-nous plus jamais ? murmura Hester en penchant son visage tout près de celui d’Arthur Dimmesdale. Ne passerons-nous point notre vie
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