LA LETTRE ÉCARLATE
immortelle ensemble ? Sûrement, sûrement, nous avons payé rançon l’un pour l’autre avec tous ces chagrins ! Tu vois loin dans l’éternité avec ces yeux étincelants qui vont s’éteindre… Dis-moi ce que tu vois !
– Chut ! Hester ! Chut ! dit Arthur Dimmesdale d’une voix tout ensemble solennelle et tremblante. La loi que nous avons enfreinte ! La faute à l’instant si horriblement révélée ! Que cela seul habite ta pensée ! Il se peut que lorsque nous avons oublié Dieu… passé outre au respect que chacun devait à l’âme de l’autre, nous ayons rendu vain tout espoir de nous rencontrer outre-tombe pour être à jamais unis dans la pureté. Dieu seul le sait et Il est miséricordieux. Il a manifesté sa miséricorde envers moi surtout en m’affligeant comme Il le fit, en allumant sur ma poitrine le feu de ce brûlant supplice, en envoyant ce sombre et implacable vieillard pour l’attiser sans cesse. En m’emmenant enfin, ici, mourir de cette mort d’angoisse triomphale devant le peuple ! Béni soit le nom du Seigneur et que Sa volonté soit faite ! Adieu !
Ce dernier mot fut prononcé avec le dernier souffle du pasteur. De la foule, jusqu’alors muette, montèrent d’étranges et profonds accents – les accents d’une horreur sacrée qui ne pouvait s’exprimer encore que par ce sourd murmure qui, si gravement, faisait cortège au départ d’un esprit.
CONCLUSION
Au bout de plusieurs jours, lorsqu’un temps suffisant se fut écoulé pour que les gens aient mis de l’ordre dans leurs idées au sujet de la scène précédente, il y eut en cours plus d’une version de ce qui s’était passé sur le pilori.
La plupart des spectateurs déclaraient avoir vu, imprimée sur la chair même du malheureux pasteur, une LETTRE ÉCARLATE – réplique exacte de celle que portait Hester Prynne. Mais sur l’origine de ce signe, plusieurs explications circulaient qui ne pouvaient toutes, évidemment, qu’être conjecturales. Certains affirmaient que le jour même où Hester avait porté pour la première fois la marque de sa honte, le Révérend Dimmesdale avait commencé une ère de pénitence en s’infligeant une série de hideuses tortures physiques. Et, en fait, nous l’avons vu avoir recours à de futiles procédés d’expiation de ce genre. D’autres prétendaient que le stigmate n’était apparu que beaucoup plus tard, que le vieux Roger Chillingworth, qui était un puissant nécromancien, l’avait fait surgir au moyen de drogues maléfiques. D’autres enfin – et ceux-ci entre tous capables d’apprécier la sensibilité particulière du pasteur et l’influence miraculeuse d’un esprit comme le sien sur le corps – chuchotaient une troisième explication. Pour eux, l’horrible symbole était un effet de l’action incessante du remords qui, à force de ronger l’intérieur du cœur, avait fini par entraîner, sous la forme de cette lettre, une manifestation extérieure du jugement de Dieu. Le lecteur peut choisir parmi ces théories diverses. Nous avons projeté toute la lumière que nos recherches nous ont permis de recueillir sur ce prodige. Quand à nous, à présent que nous avons rempli notre rôle d’historien, nous effacerions avec plaisir l’impression qu’il a creusé dans notre esprit où de longues méditations l’ont nanti d’un droit de cité tout à fait indésirable.
Il est cependant singulier que certaines personnes, qui assistèrent à toute la scène et affirmèrent n’avoir pas un instant quitté des yeux le Révérend Dimmesdale, aient nié qu’il y ait eu la moindre marque sur la poitrine du pasteur – pas plus que sur celle d’un nouveau-né. Ses dernières paroles n’auraient pas signifié non plus qu’il eût été le moins du monde complice de la faute pour laquelle Hester avait été condamnée à porter la lettre écarlate. Selon ces témoins hautement respectables, le Révérend Dimmesdale se rendant compte qu’il allait mourir, se rendant compte aussi que la foule le plaçait déjà au rang des saints et des anges, avait voulu, en expirant entre les bras d’une femme tombée, montrer que le mérite d’un homme, pour indiscutable qu’il puisse paraître, se réduit à néant. Après avoir épuisé sa vie en se prodiguant pour le bien spirituel de la communauté, il avait voulu faire de sa mort une parabole afin de bien enseigner à ses admirateurs une profonde et triste leçon, de les pénétrer de cette
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