La Liste De Schindler
exemple qu’un jour un garde découvre un poulet rapporté par une équipe de travail revenant de l’usine de câbles rue Wieliczka. Amon braille comme un putois sur l’Appellplatz parce que ce poulet a été découvert dans un sac à l’entrée du camp. A qui le sac ? veut savoir Amon. A qui le poulet ? Comme personne ne va admettre quoi que ce soit sur l’Appellplatz, Amon s’empare du fusil d’un SS et tire sur le premier du rang. La balle traverse le premier homme et va se loger dans la poitrine du second. Personne ne bronche.
— Je vois que vous vous aimez bien les uns les autres, triomphe Amon qui se prépare à exécuter quelqu’un d’autre.
Un garçon de quatorze ans sort du rang. Il sait qui a apporté le poulet, dit-il au commandant.
— Eh bien, qui ?
Le garçon pointe un doigt sur un des deux cadavres.
— C’est lui ! hurle-t-il.
Amon étonne tout le monde en prenant les dires du garçon pour argent comptant. Il lève la tête en arrière et se met à rire avec cette sorte d’incrédulité qu’on voit parfois sur le visage d’un professeur quand un élève a fait une bonne blague. « Ces gens, quand même, est-ce qu’ils ne vont pas finir par comprendre qu’ils sont tous en sursis ? »
Après une soirée comme celle-là, pendant les quelques heures de liberté qui leur étaient accordées entre 19 et 21 heures, la plupart des prisonniers estimaient que faire la cour selon les canons traditionnels serait du temps perdu. De toute façon, les poux qui couraient dans les aisselles et sur les poils du pubis ne portaient pas aux grands sentiments. Aussi était-ce sans retenue aucune que les gens s’accouplaient. Dans les baraques des femmes, on chantait une chanson de corps de garde qui s’adressait aux vierges et qui demandait pour qui donc elles croyaient préserver leur virginité.
L’ambiance à Emalia n’était pas aussi pénible. Des réduits où les amoureux pouvaient se rencontrer plus tranquillement avaient été aménagés dans les ateliers. Dans les baraques surpeuplées, la ségrégation imposée entre sexes n’était guère respectée. L’absence de brutalités et la nourriture plus abondante avaient un effet apaisant sur le comportement des prisonniers. De plus Oskar maintenait sa décision de ne pas laisser la garnison SS pénétrer dans le camp sans sa permission.
Un prisonnier raconte qu’Oskar avait fait installer dans son bureau un système d’alarme au cas où un gradé SS aurait demandé à visiter les baraques. Pendant que le SS descendait les escaliers, Oskar appuyait sur un bouton qui déclenchait une sonnerie. Les prisonniers savaient immédiatement qu’ils devaient faire disparaître les cigarettes qu’Oskar leur donnait quotidiennement. (Presque chaque jour, il se rendait dans les ateliers et disait à un prisonnier d’aller dans son appartement pour lui chercher une petite boîte de cigarettes en lui faisant un gros clin d’œil.) La sonnerie avertissait également les hommes et les femmes de se rendre auprès de leurs lits respectifs.
Rebecca n’en revenait pas d’avoir trouvé à Plaszow un garçon qui lui faisait la cour comme s’il l’avait rencontrée dans un salon de thé de Rynek.
Un matin, tandis qu’elle descendait du bureau de Stern, Josef lui montra sa planche à dessin. Il était en train de tirer des plans d’autres baraques. « Et à propos, lui demanda-t-il, quel est votre numéro de baraque, et qui est votre Alteste ? » Elle répondit avec une certaine réserve embarrassée. Ce qui pourrait paraître curieux de la part d’une jeune fille qui avait vu Helena Hirsch traînée par les cheveux dans le corridor ; qui savait que s’il lui arrivait d’enfoncer un peu trop fort la cuticule du pouce d’Amon, elle serait probablement tuée sur place. Mais ce garçon lui avait fait retrouver la pudeur de son enfance.
— J’irai dans votre baraque et je parlerai à votre mère, promit-il.
— Mais je n’ai plus de mère.
— Eh bien, j’irai parler à votre Alteste.
C’est ainsi qu’il commença à lui faire la cour – avec la permission des anciens, comme s’ils avaient l’éternité devant eux. Le garçon était à ce point cérémonieux qu’il mit longtemps avant de lui donner son premier baiser. Cela se passa sous le toit d’Amon après une séance de manucure. Rebecca, à qui Helena avait donné un pot d’eau chaude et un peu de savon, était montée en catimini au dernier étage,
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