La Liste De Schindler
Gröss-Rosen. Les femmes à Auschwitz. Gröss-Rosen était un énorme camp de basse Silésie où l’entreprise allemande Terre et Pierre exploitait à mort les prisonniers affectés aux carrières de la région. A Auschwitz, on se débarrassait d’eux d’une manière plus expéditive.
Quand la nouvelle de la fermeture d’Emalia se propagea dans les ateliers et les baraques, les prisonniers de Schindler pensèrent immédiatement que c’en était fini du sanctuaire. Les Perlman, dont la fille munie de faux papiers avait plaidé la cause auprès d’Oskar, firent leurs maigres bagages en soupirant :
— Emalia nous a donné un sursis d’un an, une nourriture adéquate pendant un an, et le bonheur d’être à l’abri des brutalités quotidiennes.
Désormais, il ne leur restait plus qu’à mourir.
Levartov, le rabbin, s’était lui aussi résigné au pire. Il devait se rendre chez Amon pour finir un travail quelconque. Edith Liebgold, que Bankier avait réussi à placer dans l’équipe de nuit de Zablocie aux premiers jours du ghetto, remarqua qu’Oskar passait des heures à discuter avec ses chefs d’équipe, mais qu’il ne venait plus vers les travailleurs pour leur faire des promesses mirobolantes. Peut-être se sentait-il aussi dérouté que tous les autres par les ordres venus de Berlin. Oskar ne jouait plus les prophètes comme la première nuit où elle s’était trouvée dans les ateliers d’Emalia, il y avait de cela trois ans et plus.
Malgré tout, à la fin de l’été, alors que les prisonniers faisaient leur paquetage avant de partir pour Plaszow, la rumeur circula qu’Oskar était en train de négocier leur rachat. Il en avait parlé à Garde. Il l’avait confirmé à Bankier. Chacun se persuadait presque de l’avoir entendu le dire de sa voix rauque et paternelle. Mais quand les premiers d’entre eux se retrouvèrent rue Jerozolimska devant les bureaux de l’administration de Plaszow et qu’ils virent les squelettes humains en train de pousser les wagonnets, ils se dirent que les promesses d’Oskar n’étaient plus qu’un douloureux souvenir.
La famille Horowitz était de retour à Plaszow. Le père, Dolek, avait réussi à les faire transférer à Emalia l’année précédente. Et maintenant, ils étaient tous là à nouveau : la mère, Regina ; le gamin, Richard, six ans ; la fille, Niusia, onze ans, affectée à nouveau à l’atelier des brosses et qui pouvait contempler des fenêtres les camions se dirigeant vers la colline du fort autrichien et la fumée des bûchers sur lesquels on brûlait les cadavres. Ainsi Plaszow était exactement comme quand elle l’avait quitté. Il lui était impossible de concevoir qu’il y aurait jamais une fin à tout cela.
Pourtant son père était persuadé qu’Oskar parviendrait à les faire sortir de là. Il allait faire une liste. Une liste qu’il soumettrait à Amon. La Liste. Celle qui annoncerait des lendemains qui respirent.
De fait, un soir qu’il se trouvait dans la villa d’Amon, Oskar fit miroiter l’idée de quitter Cracovie avec un certain nombre de ses ouvriers. C’était une nuit paisible qui annonçait l’automne, et Amon semblait ravi d’avoir Oskar pour hôte. Les Drs Blancke et Gross l’avaient averti que s’il ne cessait pas de boire et de bâfrer comme il le faisait, ils ne lui donnaient que quelques mois à vivre. Aussi les visiteurs étaient-ils rares ces temps-ci.
Ils s’assirent et commencèrent à boire au rythme plus tempéré d’Amon. Oskar en vint tout de suite au fait. Voilà. Il voulait démanteler son usine et aller l’installer en Tchécoslovaquie. Il emmènerait ses ouvriers qualifiés et il aurait sans doute besoin d’autres ouvriers qualifiés en provenance de Plaszow. Il allait solliciter l’aide des services du redéploiement pour trouver un site approprié quelque part en Moravie, et il demanderait à l’Ostbahn de lui fournir les moyens nécessaires au transport des machines et du matériel. Il serait très reconnaissant si Amon voulait bien lui accorder son soutien. Le mot « reconnaissance » faisait tout de suite vibrer quelques cordes sensibles chez Amon. Soit, si Oskar obtenait la coopération des services administratifs, Amon donnerait son aval pour qu’on établisse une liste de travailleurs.
Quand les deux hommes se furent mis d’accord, Amon demanda un jeu de cartes. Il affectionnait particulièrement le vingt-et-un, un jeu qui interdisait à l’adversaire,
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