La Liste De Schindler
escabeau pour nettoyer les vitres. Il échappa à la rafle.
Les ordres prescrivaient que les parents devaient être rassemblés avec les enfants, sans doute pour éviter les scènes de panique. Rosner, le violoniste, Horowitz, Roman Ginter furent donc arrêtés. Le Dr Léon Gross sortit précipitamment du dispensaire pour tenter de négocier avec les SS. Il chercha à persuader l’inspecteur qu’il n’était pas un prisonnier quelconque, mais un ami du régime. En vain. Un Unterscharführer SS armé d’une mitraillette fut chargé d’escorter le groupe à Auschwitz.
Ils allèrent de Zwittau à Katowice, en haute Silésie, par train de voyageurs. Henry Rosner s’attendait à voir les autres passagers manifester leur hostilité. Aussi fût-il surpris quand il vit une femme traverser le couloir, l’air grave et déterminé, et donner à Olek et à quelques autres un peu de pain et une pomme, tout en regardant le sergent SS bien droit dans les yeux, comme pour le provoquer. L’Unterscharführer se contenta de lui faire un petit salut de la tête. Quand le train s’arrêta à Usti, il laissa les prisonniers aux soins de son adjoint pour aller acheter au buffet des biscuits et du café dont il fit la distribution. Rosner et Horowitz s’enhardirent jusqu’à engager la conversation avec lui. Et au fur et à mesure qu’ils parlaient, les prisonniers se demandaient si cet Unterscharführer-là était bien de la même race policière que les Amon, les Hujar ou les John qu’ils avaient connus.
— Je vous emmène à Auschwitz, leur dit-il. Je dois repartir avec un groupe de femmes pour Brinnlitz.
Paradoxalement, Rosner et Horowitz furent les premiers prisonniers de Brinnlitz à découvrir que les femmes de Schindler allaient quitter Auschwitz au moment même où eux y partaient.
Ils n’en revenaient pas. Ils passèrent la nouvelle aux enfants.
— Ce gentil monsieur va ramener vos mamans à Brinnlitz.
Rosner et Horowitz demandèrent à l’Unterscharführer s’il accepterait de prendre une lettre pour Manci et une autre pour Regina. Il leur prêta son propre papier à lettres. Rosner indiqua à Manci un point de chute à Podgorze où ils se retrouveraient éventuellement si, toutefois, ils s’en tiraient tous les deux. Une fois les lettres terminées, le SS les mit dans sa poche. Rosner se demandait ce qu’avait fait cet homme au cours des dernières années. Est-ce qu’il avait été, lui aussi, contaminé ? Est-ce qu’il avait, lui -aussi, gueulé son enthousiasme quand les sorciers, sur les estrades, hurlaient : « Les juifs sont responsables de nos malheurs ? »
Au cours du voyage, Olek blottit sa tête contre Henry et se mit à pleurer. Il ne voulait pas dire pourquoi. Poussé par son père, il finit par avouer son désarroi à l’idée que tout cela, c’était sa faute.
— Tu vas te retrouver à Auschwitz à cause de moi, sanglotait-il.
Henry aurait pu tenter de le calmer en lui racontant des histoires, mais ça n’aurait sans doute pas marché. Les enfants connaissaient l’existence des chambres à gaz. Et ils toléraient mal qu’on leur serve des salades.
L’Unterscharführer n’avait sans doute pas entendu ce qu’avait dit le gosse. Et pourtant, il se pencha vers eux, les yeux remplis de larmes. Olek le regardait, surpris de constater qu’il pouvait encore exister chez des hommes comme lui des sentiments de compassion, et même, à lire son regard, de fraternité.
— Je sais ce qui arrivera, dit-il. On a perdu la guerre. Vous aurez le tatouage. Vous vous en sortirez.
Henry avait l’impression que cet homme avait dit cela pour lui-même plus que pour l’enfant, comme s’il voulait se rassurer, et bien ancrer dans sa mémoire cette promesse qu’il venait de faire. Une promesse qui, dans les années à venir, lorsqu’il se remémorerait ce voyage, lui serait un réconfort.
L’après-midi du jour où elle avait cherché la barrière électrifiée pour en finir, Clara Sternberg entendit des rires et des appels en provenance des baraques où se trouvaient les Schindlerfrauen. Elle alla jeter un coup d’œil et aperçut ses anciennes compagnes alignées le long d’une barrière intérieure au camp des femmes, certaines vêtues de pantalons et de chemisiers. Bien que la plupart fussent réduites à l’état de squelettes, elles bavardaient gaiement entre elles. Même la blonde SS qui les surveillait semblait gagnée par la bonne humeur, sans doute à l’idée
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