La Liste De Schindler
et Mme Berger, allèrent chercher un crayon et un bloc. Ce discours à bâtons rompus, prononcé par un homme qui serait bientôt un fugitif, fut sans doute beaucoup plus émouvant que la transcription Waidmann-Berger. Oskar reprit les thèmes qu’il avait évoqués lors de son anniversaire, mais cette fois-ci les choses étaient beaucoup plus claires. Les prisonniers étaient aujourd’hui les témoins privilégiés d’une nouvelle ère. Tous les autres – les SS, lui-même, Emilie, Fuchs, Schoenbrun – avaient désormais besoin d’aide.
« La reddition inconditionnelle de l’Allemagne vient d’être proclamée, dit-il. Après six années de folie meurtrière, l’Europe pleure ses morts et tente de restaurer la paix et l’ordre. Je souhaite que chacun d’entre vous fasse preuve de sang-froid et de discipline pour passer ce cap difficile avant de retourner dans quelques jours vers ses foyers détruits, à la recherche des membres de sa famille qui auront survécu à cette tragédie. Mais je vous conjure d’éviter à tout prix une panique dont les retombées seraient désastreuses. »
Il était clair que cette dernière phrase s’adressait à la garnison SS.
« Le général Montgomery, chef des forces alliées, poursuivit-il, a demandé à ses troupes d’agir avec le souci de respecter la vie humaine dans les territoires conquis, et de faire la distinction entre les Allemands coupables et ceux qui n’ont fait que leur devoir. Les soldats du front et tous les travailleurs obscurs qui ont servi la patrie ne seront pas tenus pour responsables de ce qu’a fait un groupe d’hommes qui se disaient allemands. »
Oskar était en train d’adopter une ligne de défense en faveur de ses compatriotes que tous les prisonniers qui survivraient à cette nuit-là verraient reprendre des millions de fois à l’avenir. Mais si quelqu’un avait bien le droit de prononcer ces mots et d’être entendu avec au moins un minimum de tolérance, c’était bien Herr Oskar Schindler.
« Des milliers d’Allemands ont été révoltés par la liquidation de millions d’entre vous, vos parents, vos enfants, vos frères. Des millions d’Allemands ignorent tout de l’étendue des atrocités commises. »
Les archives de Dachau et de Buchenwald, récupérées quelque temps plus tôt par les Alliés et diffusées sur la B.B.C., avaient permis aux Allemands d’apprendre pour la première fois « le monstrueux parti pris d’annihilation de leurs dirigeants ». Oskar réitéra sa demande pour que chacun se conduise d’une façon juste et humaine, et ne cherche pas à jouer les justiciers. « Si vous avez des accusations à porter, faites-le dans les lieux appropriés. Dans cette nouvelle Europe, il y aura désormais des juges, des juges incorruptibles qui vous entendront. »
Il parla ensuite avec un soupçon de nostalgie de ses rapports avec les prisonniers et évoqua la possibilité d’être mis, lui aussi, dans le lot commun avec les Goeth et les Hassebroeck.
« La plupart d’entre vous savent les obstacles que j’ai dû surmonter, les persécutions que j’ai dû endurer pour garder mes prisonniers. S’il était déjà difficile de défendre les quelques droits des travailleurs polonais, de leur procurer du travail pour empêcher leur déportation en Allemagne, de protéger leurs maisons et leurs quelques biens, vous pouvez imaginer ce qu’a pu être le combat pour défendre les travailleurs juifs. »
Il décrivit quelques-unes des difficultés rencontrées et remercia ses travailleurs d’avoir accepté de satisfaire aux demandes des hautes autorités en charge de la fabrication des armements. Ces remerciements pouvaient paraître ironiques vu la productivité quasi nulle de Brinnlitz. En fait, Herr Direktor était en train de leur dire : « Merci de m’avoir aidé à saboter le système. »
Il demanda aux prisonniers d’avoir une bonne pensée pour tous les gens de la région qui leur avaient fourni une aide : « Si, dans quelques jours, les portes de la liberté s’ouvrent pour vous, soyez-en d’abord reconnaissants à tous ceux de Brinnlitz et d’ailleurs qui vous ont secourus en vous fournissant des vivres et des vêtements. J’ai tout fait pour que vous soyez convenablement nourris, et je m’engage à tout faire encore pour assurer votre protection et votre pain quotidien, et cela jusqu’à minuit cinq, c’est-à-dire cinq minutes après l’entrée en vigueur de
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