La Liste De Schindler
chefs, la lutte pour une existence nationale signifiait lutte raciale, et que le mot Einsatz lui-même avait perdu désormais toute connotation chevaleresque pour signifier « feu à volonté ».
L’escouade retenue pour l’expédition à Kazimierz faisait partie de l’élite de l’Einsatz. Elle laisserait aux SS de Cracovie la tâche sordide de fouiller les appartements pour récolter bijoux et fourrures. Quant aux hommes de l’Einsatz, ils auraient pour mission de s’occuper des symboles mêmes de la culture juive – c’est-à-dire des anciennes synagogues de Cracovie.
Toutes les forces engagées dans la première Aktion sur Cracovie – Einsatz, Sonderkommandos SS (escouades spéciales) et les SD de Czurda – attendaient avec impatience depuis quelques semaines de pouvoir passer à l’action. L’armée s’était mise d’accord avec Heydrich et les différents services de police pour qu’aucune opération ne soit montée jusqu’à ce que la Pologne passe d’un régime militaire à un régime civil. Le transfert d’autorité était chose accomplie. Désormais, dans tout le pays, les chevaliers de l’Einsatz et les Sonderkommandos avaient le feu vert pour faire régner l’ordre nouveau dans tous les ghettos de Pologne.
Au bout de la rue où se trouvait l’appartement d’Oskar, on pouvait apercevoir le château de Wawel, une sorte de forteresse où siégeait Hans Frank. Si l’on veut comprendre le choix d’Oskar et l’action qu’il va mener en Pologne, il faut mesurer les rapports de forces en présence : d’une part, Frank et les jeunes officiers SS ou SD ; d’autre part, Oskar et les juifs de Cracovie.
En premier lieu, Frank n’avait pas d’autorité directe sur les forces spéciales qui allaient participer à l’opération Kazimierz. Où qu’elles se trouvent, les forces de police de Heinrich Himmler n’avaient de comptes à rendre qu’à leur chef. Frank tolérait mal qu’elles forment un Etat dans l’Etat et, de plus, il était en désaccord avec elles pour des raisons pratiques. Sans doute éprouvait-il la même haine à l’égard de la population juive que tous les membres du parti, et trouvait-il que Cracovie, si admirable que fût la ville, puait le juif. Il s’était d’ailleurs plaint récemment que certains fonctionnaires du parti eussent mis à profit les excellentes dessertes ferroviaires de Cracovie pour faire de la ville un dépotoir pour les juifs du Wartheland, de Lodz ou de Poznan. Mais il était persuadé que les méthodes en vigueur chez les Einsatzgruppen ou les Sonderkommandos ne pourraient résoudre en quoi que ce soit le problème. Pour Frank – comme pour Himmler, d’ailleurs, qui avait été le premier à divaguer sur ce thème –, la solution consistait à parquer tous les juifs dans un immense camp de concentration qui pourrait être, par exemple, la ville de Lublin et ses environs ou, mieux encore, Madagascar.
Les Polonais eux-mêmes avaient à une époque caressé l’idée d’expédier leurs juifs à Madagascar. Le gouvernement de Varsovie avait même envoyé en 1937 une commission chargée d’étudier les possibilités offertes par cette île si commodément éloignée des rivages où s’exacerbaient les sensibilités européennes. A Paris, le ministère des Colonies se disait favorable à un accord sur ce point, estimant qu’un Madagascar peuplé de juifs européens engendrerait de superbes marchés à l’exportation. Oswald Pirow , le ministre de la Défense sud-africain, avait plus tard joué le « monsieur bons offices » entre Hitler et la France pour tenter d’aboutir à une solution semblable. On comprend que Hans Frank, fort de ces précédents, ait misé là-dessus plutôt que sur les méthodes des Einsatzgruppen. Ceux-ci pouvaient bien terroriser et massacrer, jamais ils ne viendraient à bout de la population de sous-hommes de l’Europe de l’Est. Au moment où se préparait l’offensive sur Varsovie, les Einsatzgruppen avaient saccagé les maisons des juifs, ils les avaient torturés, ils les avaient fusillés et pendus dans les synagogues de Silésie, ils avaient brûlé leurs instruments de prière. Une goutte d’eau, estimait Frank. L’Histoire lui avait appris que les races menacées survivent généralement aux génocides. Les géniteurs sont plus prolifiques que les tueurs.
Ce que tout le monde ignorait ce jour-là –, aussi bien les Einsatzgruppen que les grosses brutes SS ou les fidèles prosternés
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