La Liste De Schindler
dans les synagogues –, oui, ce que tout le monde ignorait, ce que de nombreux planificateurs au sein du parti espéraient vaguement, sans trop y croire, c’était qu’une réponse technologique, le Zyklon B, apporterait une solution beaucoup plus efficace que Madagascar au problème juif.
Leni Riefenstahl, l’actrice préférée d’Hitler qui était aussi réalisatrice de films, avait provoqué un incident après être arrivée à Lodz avec une équipe de tournage sitôt la ville tombée. Ayant assisté à l’exécution d’une colonne de juifs à la mitrailleuse, elle s’était immédiatement rendue près du Führer qui se trouvait alors au quartier général des armées du front sud et lui avait fait une véritable scène. Ainsi allaient les choses. Outre les problèmes de logistique et le poids du nombre, il fallait encore compter avec les criailleries de certaines personnes timorées. Les sbires des Einsatzgruppen ne seraient jamais à la hauteur. Mais Madagascar finirait aussi par apparaître absurde le jour où on aurait trouvé le moyen de parquer les sous-hommes de l’Europe centrale dans des endroits où les metteurs en scène bon chic bon genre ne risqueraient pas de s’aventurer.
L’avertissement donné par Oskar à Stern dans les bureaux de Buchheister n’avait pas servi à grand-chose. Les SS étaient passés à l’action et se livraient au pillage dans les rues Jakoba , Izaaka et Jozefa. Ils enfonçaient les portes, vidaient les armoires, forçaient les serrures des placards et des bureaux. Ils arrachaient les bagues et les colliers des femmes. Une jeune fille qui s’agrippait à son manteau de fourrure eut le bras cassé. Un garçon de la rue Ciemma qui refusait de donner ses skis fut tué sur-le-champ.
Quelques victimes du pillage – ignorant que les SS n’étaient pas soumis à la loi commune – iraient se plaindre le lendemain auprès des services de police. L’Histoire leur avait enseigné qu’il y avait toujours quelque part un vieil officier de police galonné et intègre qui serait bien embarrassé d’apprendre ce qui s’était passé. Peut-être même passerait-il à l’action pour discipliner ces soudards ? Il y aurait sans doute une enquête sur l’affaire de la rue Ciemma et sur la femme dont on avait cassé le nez à coups de matraque.
Pendant que les SS saccageaient les appartements, l’escouade des Einsatzgruppen fonçait en direction de la synagogue de Stara Boznica , datant du XIVe siècle. Comme prévu, ils trouvèrent à l’intérieur un groupe de juifs orthodoxes portant barbe, papillotes et châles de prière. Ils s’emparèrent dans la rue d’un autre groupe de juifs, non pratiquants ceux-là, et le menèrent dans la synagogue comme s’ils voulaient voir comment réagissaient les deux groupes l’un vis-à-vis de l’autre.
Parmi ceux qu’on avait poussés au travers du portail de Stara Boznica se trouvait le gangster Max Redlicht , un homme qui n’aurait jamais pénétré dans le vieux temple et n’aurait d’ailleurs jamais été convié à le faire. Les deux groupes de la même tribu qui, en d’autres temps, ne se seraient pas adressé la parole, se trouvaient de part et d’autre de l’arche. Un sous-officier de l’Einsatz ouvrit l’arche et s’empara des Tables de la Loi. Tous les gens réunis dans la synagogue furent sommés de défiler devant les Tables et de cracher dessus. Et pas de faux-semblants : le crachat devait être bien visible.
Les juifs orthodoxes paraissaient avoir adopté une attitude plus rationnelle, peut-être, que les autres, les agnostiques, les libéraux, ceux qui se voulaient assimilés. Les hommes de l’Einsatz voyaient bien que les non-croyants hésitaient devant le parchemin. Du regard ils lançaient des appels aux soldats comme pour leur dire : « Allons, un peu de sérieux, vous voyez bien qu’on est des gens trop sérieux pour ce genre de foutaises ! » On avait appris aux SS, au cours de leur formation, que le pseudo-libéralisme des juifs non orthodoxes n’était que du flan. Dans cette synagogue de Stara Boznica , les réticences de ceux qui portaient les cheveux courts et les vêtements à la mode semblaient indiquer que ce n’était pas faux. Tout le monde finit par cracher, sauf Max Redlicht . Les hommes de l’Einsatz devaient savourer le spectacle : un incroyant notoire renonçant à cracher sur un objet religieux que sa raison tenait pour une calembredaine, mais que sa conscience
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