La Liste De Schindler
considérait encore comme sacré. Pourrait-on jamais libérer un juif du fatras obscurantiste qui pesait sur sa conscience ? Un juif saurait-il jamais avoir des pensées claires ? Saurait-il raisonner comme Kant ? L’heure de vérité était venue.
Redlicht dit quelques mots :
— J’ai fait beaucoup de choses dans ma vie, mais ça, je ne le ferai pas.
Il fut tué le premier. Puis tous les autres y passèrent. Les sbires de l’Einsatz allumèrent alors quelques foyers d’incendie. Quelques heures plus tard, une des plus vieilles synagogues de Pologne n’était plus qu’une carcasse calcinée.
CHAPITRE 5
Victoria KIonowska, une très jolie secrétaire polonaise recrutée par Oskar, allait très rapidement devenir sa maîtresse. Ingrid, l’égérie allemande, devait être au courant (aussi certainement qu’Emilie Schindler devait connaître l’existence d’Ingrid). Oskar, c’est le moins qu’on puisse dire, n’était pas cachottier. Pour ce qui est du sexe, il avait la franchise d’un enfant. Non pas qu’il se vantât, mais il ne voyait pas l’utilité de mentir, de monter dans des chambres d’hôtel par des escaliers de service, ou de frapper discrètement à la porte d’une fille une fois la nuit bien avancée. Puisque Oskar ne se donnait même pas la peine de mentir, ses femmes avaient peu de prise sur lui et les querelles d’amoureux n’avaient aucune raison d’être.
Avec ses cheveux blonds haut dressés sur son ravissant minois peinturluré, Victoria KIonowska ressemblait à ces ingénues chez qui les dégâts provoqués par l’Histoire ne sauraient influer durablement sur les choses de la vie. En cet automne où la sobriété vestimentaire était de mise, la jupe moulante et les chemisiers voyants de la jeune fille pouvaient passer pour une provocation. Pourtant Victoria, comme la plupart des Polonais, avait la fibre patriotique. On la disait équilibrée et efficace. Elle le prouvera plus tard, quand elle devra faire des démarches auprès des gros bonnets allemands pour tirer son amant des pattes des SS. Mais, pour l’instant, Oskar avait un travail moins délicat à lui proposer.
Il aurait aimé connaître à Cracovie une boîte, bar ou cabaret, où il pourrait inviter des amis. Pas des « contacts » ou des huiles de l’Inspection des armements, mais de vrais amis. Bref, un endroit un peu gai où il serait exclu qu’il puisse tomber sur des pontes rasoirs et bedonnants.
Victoria saurait-elle trouver ça ? Elle découvrit une cave où l’on jouait du très bon jazz dans une des rues étroites situées au nord du Rynek, la grand-place de la ville. C’était un endroit très populaire où se retrouvaient étudiants et jeunes professeurs, mais où Victoria n’avait jamais mis les pieds auparavant. Les gens frisant la quarantaine qui la poursuivaient de leurs assiduités avant-guerre se seraient crus déshonorés de fréquenter un bouge pour étudiants. On pouvait y louer des alcôves masquées par des rideaux sous couvert de participer en privé aux rythmes tribaux de l’orchestre. Pour avoir découvert cet endroit, Oskar surnomma la Klonowska « Colombe », en souvenir de Christophe Colomb. La ligne du parti sur le jazz était formelle : une musique décadente reflétant l’animalité des tribus africaines. Les SS et les dignitaires du parti n’avaient d’oreilles que pour les flonflons bavarois et les valses viennoises.
A l’approche de Noël 1939, Oskar réunit un petit groupe d’amis dans la cave. Comme tous les gens qui cherchent à se faire des relations, Oskar n’hésitait jamais à lever le coude avec des gens qu’il méprisait. Mais ce soir-là on était entre amis. Des amis qui, bien sûr, pourraient éventuellement se révéler utiles. Car ces fonctionnaires appartenant à des services divers des forces d’occupation en Pologne, sans être de gros bonnets, n’étaient pas sans influence. De plus, tous se sentaient exilés à double titre : loin de chez eux, et loin de partager les vues du régime.
Il y avait là, par exemple, un jeune géomètre allemand appartenant au Service des affaires intérieures du gouvernement général. C’est lui qui avait délimité le terrain de la fabrique d’ustensiles de cuisine de Zablocie. Derrière l’usine d’Oskar, la Deutsche Emailwaren Fabrik (DEF), il y avait un terrain vague contigu à deux autres usines ; l’une de cartonnages, l’autre de radiateurs. Schindler avait été ravi de
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