La Liste De Schindler
une signature. Et l’on savait, malgré sa petite péroraison devant Toffel, qu’il n’avait rien contre les juifs. Aucun d’entre eux, d’ailleurs. A la veille de ce Noël 1939, Oskar voyait dans ce petit groupe une échappatoire à la grisaille officielle. Plus tard, il serait d’une autre utilité.
CHAPITRE 6
La descente du 4 décembre sur le quartier juif avait convaincu Stern qu’Oskar Schindler était cette perle rare : à la fois un goy et un juste. La légende talmudique de Hasidei Ummot Haolam, les Justes des nations, affirme qu’à chaque moment de l’Histoire, ils sont au nombre de trente-six. Stern savait bien que ce nombre mystique ne correspondait pas à la réalité, mais pour lui cette légende avait un accent de vérité. De toute façon il considérait déjà Schindler comme un protecteur, un véritable rempart vivant.
L’Allemand avait besoin de capitaux. L’usine Rekord avait été vidée de la plupart de ses machines à l’exception de quelques presses, cuves, tours et fours. Stern avait sans nul doute une certaine influence morale sur Oskar, mais ce fut Abraham Bankier, le directeur administratif de Rekord, dont Oskar s’était acquis la sympathie, qui lui permit d’entrer en contact avec les détenteurs de capitaux.
Les deux hommes – Oskar, immense et racé, et Bankier qui avait l’air d’un gnome – démarchèrent ensemble les bailleurs possibles. Par un décret du 23 novembre, les comptes et les contenus des coffres bancaires appartenant aux juifs avaient été confisqués par l’administration allemande et placés dans un compte spécial sur lequel les propriétaires légitimes n’avaient aucun droit. Quelques hommes d’affaires juifs parmi les plus riches – ceux qui savaient que l’Histoire se répète – avaient soigneusement caché quelques liasses de billets hâtivement retirés de leur compte en banque. Mais ils savaient que sous la férule du gouverneur Hans Frank, l’argent liquide n’était pas une panacée. Mieux valait disposer de valeurs plus sûres, diamants ou objets de troc.
Bankier connaissait un certain nombre de personnes aux environs de Cracovie qui seraient susceptibles d’investir dans telle ou telle entreprise en échange d’une certaine quantité de marchandises. Le marché pouvait porter, par exemple, sur un investissement de cinquante mille zlotys contre tant de kilos de cocottes et de casseroles à verser chaque mois à partir du 1er juillet pour une période d’un an. Pour un juif de Cracovie, quelques ustensiles de cuisine apparaissaient comme une valeur plus sûre qu’une liasse de zlotys.
Les parties prenantes – Oskar, l’investisseur, Bankier, l’intermédiaire, et les bailleurs de fonds – ne signaient évidemment aucun contrat. De toute façon, il n’y aurait eu aucun moyen légal d’en faire respecter les clauses. Tout reposait sur la parole donnée, c’est-à-dire, en fin de compte, sur la perspicacité de Bankier à avoir jaugé correctement le futur fabricant de casseroles.
Les rencontres pouvaient avoir lieu dans l’appartement d’un des investisseurs situé en plein cœur de la vieille ville et le marché se conclure sous l’œil bienveillant des portraits de famille encore accrochés au mur. Ou peut-être le bailleur aurait-il déjà été expulsé de son appartement et se serait-il réfugié dans un des bas quartiers de Podgorze. Le bonhomme, devenu employé dans sa propre affaire et dépossédé de son appartement, tout cela en quelques mois, serait complètement sonné.
Affirmer qu’Oskar n’exerça jamais de pressions pour obtenir ce qu’il voulait au cours de ces rendez-vous d’affaires contribuerait à alimenter la légende du personnage, mais serait contraire à la stricte vérité. Il eut ainsi un sérieux différend avec un détaillant juif sur les quantités de marchandises que celui-ci serait autorisé à prendre sur les quais de chargement de la DEF, rue Lipowa. Ce monsieur lui en a voulu jusqu’à la fin de sa vie. Mais personne ne s’est jamais aventuré à dire qu’Oskar avait un jour manqué à sa parole ou n’avait pas respecté les contrats verbaux.
Car il était d’un naturel beau joueur. Il a toujours donné l’impression de pouvoir rembourser sans compter grâce à des revenus qui paraissaient sans limites. De toute façon, Oskar et d’autres Allemands qui avaient le nez creux et le sens des affaires allaient brasser tellement d’argent au cours des quatre années
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