La Liste De Schindler
pas me relâcher? demanda Oskar en riant. Enfin, sachez que nous nous amuserons de cette affaire quand je dirai autour d’un verre à l’Oberführer Scherner que vous m’avez traité avec la plus grande courtoisie.
Les deux hommes qui l’avaient arrêté l’emmenèrent au deuxième étage où il fut soumis à une fouille en règle. On l’autorisa à garder ses cigarettes et une somme de cent zlotys, puis on l’enferma dans une chambre à coucher – sans doute une des meilleures de l’endroit, estima Oskar – équipée d’un lavabo, d’un W.-C., et de rideaux poussiéreux tendus devant des fenêtres munies de barreaux, bref, le type de chambre dans laquelle on devait garder des personnes importantes sur qui ne pesaient pas encore de trop graves soupçons. Si on vous relâchait, vous ne pouviez guère vous plaindre des conditions d’hébergement. Mais si vous étiez reconnu coupable de sédition ou de crimes économiques, vous vous retrouviez immédiatement au sous-sol, comme si le plancher avait basculé à la manière d’une trappe. Et vous vous retrouviez là, généralement pantelant et sanguinolent, dans une de ces cellules où l’on procédait aux interrogatoires musclés. Ensuite, c’était le transfert à Montelupich où l’on pendait les prisonniers dans leur cellule. Oskar contemplait la porte. « Si quelqu’un ose me toucher, se jura-t-il, je le ferai expédier en Russie. »
Oskar n’avait jamais été particulièrement patient. Au bout d’une heure il frappa à la porte et donna au SS qui ouvrit cinquante zlotys pour qu’il aille lui chercher une bouteille de vodka. C’était, bien sûr, trois fois le montant nécessaire, mais Oskar avait déjà eu l’occasion d’éprouver maintes fois cette méthode. Un peu plus tard, grâce à la diligence d’Ingrid et de Klonowska, on lui remit un pyjama, un nécessaire de toilette et des livres. On lui servit ensuite un excellent repas arrosé d’une demi-bouteille de vin de Hongrie. Personne ne vint le déranger ni même lui poser une question. Il supposa que le comptable était en train de suer sang et eau sur les registres d’Emalia. Il aurait aimé avoir une radio pour écouter les nouvelles de Russie, de l’Extrême-Orient et du nouveau pays en guerre, les Etats-Unis, sur les ondes de la B.B.C. Il avait le sentiment que s’il en demandait une à ses gardiens, ils la lui apporteraient. Il espérait que la Gestapo n’avait pas été fouiller dans son appartement de la Straszewskiego pour faire une évaluation de ses meubles et des bijoux d’Ingrid. Au moment où il sombra dans le sommeil, il en était arrivé au point où il avait envie de subir l’interrogatoire.
Au petit matin on lui apporta un excellent petit déjeuner – harengs marinés, fromage, œufs, petits pains, café – sans chercher à le déranger. Enfin le SS entre deux âges vint lui rendre visite avec une pile de dossiers comptables.
L’expert-comptable SS lui souhaita le bonjour. Il espérait qu’il avait passé une bonne nuit. Il n’avait eu le temps que de jeter un coup d’œil succinct sur les documents comptables de Herr Schindler, mais il apparaissait qu’un gentleman tenu en si grande estime par de très nombreuses personnes haut placées ne devrait certainement pas faire l’objet d’une enquête pour le moment. « Nous avons reçu, ajouta le SS, un certain nombre de coups de téléphone…» Oskar remercia son interlocuteur bien qu’il fût convaincu que son acquittement n’était que temporaire. On lui restitua ses registres et son argent de poche au bureau de la réception.
Klonowska, tout sourires, l’attendait en bas. Son travail avait porté ses fruits : Schindler sortait de cette maison de la mort dans son costume croisé impeccable et sans une égratignure. Elle le dirigea vers l’Adler qu’on lui avait permis de garer dans la cour intérieure. Son ridicule caniche attendait sagement sur la banquette arrière.
CHAPITRE 12
La petite fille arriva en fin d’après-midi chez les Dresner qui habitaient la partie est du ghetto. L’homme et la femme polonais qui l’hébergeaient à la campagne l’avaient ramenée à Cracovie. La police polonaise les avait laissés pénétrer à l’intérieur du ghetto sous prétexte d’un rendez-vous d’affaires. Ils avaient prétendu que la petite fille était la leur.
C’étaient de braves gens et ils se sentaient un peu honteux de lui avoir fait quitter la campagne pour l’amener à
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