Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
l’hôtel d’Artois.
    — Les portes, les portes !
Que les portes restent closes ! dit-il dès qu’il fut entré. A-t-on bien
veillé à mes ordres ? Personne, hormis Béatrice, n’est sorti ? Qu’il
en soit ainsi pour tout le jour.
    Puis il s’élança dans l’escalier. Il
avait perdu cette raideur et cette componction auxquelles d’ordinaire il se
forçait un peu.
    La « chambre de gésine »,
ainsi qu’il était d’usage dans les familles princières, avait été
somptueusement décorée. De hautes tapisseries d’Arras, aux vives couleurs,
recouvraient entièrement les murs, et le sol était jonché de fleurs, iris,
roses et marguerites, que l’on écrasait en marchant. L’accouchée, pâle, les
yeux brillants et le visage encore défait, reposait dans un grand lit entouré
de courtines de soie, sous des draps blancs qui traînaient à terre de la
longueur d’une aune. Dans les angles de la pièce se trouvaient deux couchettes,
également pourvues de rideaux de soie, et destinées l’une à la ventrière assermentée
et l’autre à la berceresse de garde.
    Philippe se dirigea droit vers le
berceau d’apparat, et se pencha fort bas pour bien voir ce fils qui venait de
lui naître. Affreux et pourtant attendrissant, comme tout enfant dans ses
premières heures, rougeaud, ridé, les yeux collés et la lèvre baveuse, avec une
infime mèche de cheveux blonds pointant sur son crâne chauve, le bébé dormait,
emmailloté jusqu’aux épaules dans des bandelettes croisées étroitement serrées.
    — Ainsi le voilà donc, mon
petit Louis-Philippe que je souhaitais tant et qui arrive à point si bien nommé [9] .
    Seulement alors, le comte de
Poitiers s’approcha de sa femme, la baisa aux joues, et lui dit, d’un ton de
profonde gratitude :
    — Grand merci, ma mie, grand
merci. Vous me donnez belle joie, et ceci efface à jamais de ma pensée nos
dissentiments de jadis.
    Jeanne saisit la longue main de son
mari, l’approcha de ses lèvres, s’y caressa le visage.
    — Dieu nous a bénis,
Philippe ; Dieu a béni nos retrouvailles de l’automne, murmurait-elle.
    Elle portait toujours son collier de
corail.
    La comtesse Mahaut, les manches
relevées sur des avant-bras pourvus d’un solide duvet, assistait à la scène en
triomphatrice. Elle se frappa la panse d’un geste énergique.
    — Eh ! mon fils,
s’écria-t-elle. Ne vous l’avais-je pas dit ? Ce sont bons ventres que ceux
d’Artois et de Bourgogne.
    Philippe revint au berceau.
    — Ne le pourrait-on délanger
que je le voie mieux ? demanda-t-il.
    — Monseigneur, répondit la
ventrière, ce n’est point à conseiller. Les membres d’enfant sont moult tendres
et doivent rester liés autant qu’il se peut, pour les enforcir et les empêcher
de se tordre. Mais soyez sans crainte, Monseigneur, nous l’avons bien frotté de
sel et de miel, et enveloppé de roses pilées pour lui ôter l’humeur glueuse, et
il a eu tout le dedans de la bouche passé au miel avec le doigt, afin de lui
donner appétit et douceur. Soyez sûr qu’il est bien choyé.
    — Et votre Jeanne aussi, mon
fils, ajouta Mahaut. Je l’ai fait oindre de bon onguent mêlé de fiente de
lièvre, pour lui resserrer le ventre selon les recettes de maître Arnaud.
    — Mais, ma mère, dit
l’accouchée, je croyais que c’était recette pour femme stérile ?
    — Bah ! La fiente de
lièvre est bonne pour tout, répliqua la comtesse.
    Philippe continuait à contempler son
héritier.
    — Ne trouvez-vous point qu’il
ressemble fort à mon père ? dit-il. Il en a le haut front.
    — Peut-être bien, répondit
Mahaut. À la vérité, je lui voyais plutôt les traits de feu mon brave Othon…
Qu’il ait leur force d’âme et de corps, à tous deux, voilà ce que je lui
souhaite.
    — C’est surtout à vous,
Philippe, qu’il ressemble, dit Jeanne doucement.
    Le comte de Poitiers se redressa
avec quelque fierté.
    — À présent, dit-il, je pense
que vous comprenez mieux mes ordres, ma mère, et pourquoi je vous demande de
tenir vos portes fermées. Nul ne doit savoir que j’ai un fils. Car on dirait
dans ce cas que j’ai fabriqué le règlement de succession tout exprès pour lui
assurer le trône après moi, si Clémence ne donne point de mâle ; et j’en
connais quelques-uns, mon frère Charles le premier, qui regimberaient, à voir
si tôt leurs espérances coupées. Si donc vous voulez garder à cet enfant sa
chance de devenir roi, pas un

Weitere Kostenlose Bücher