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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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clairvoyance ; aussi venait-il de rallier, comme à
son ordinaire, la protection du parti le plus fort.
    De ces deux princes, l’un pris à la
tête et l’autre aux jambes, descendrait la longue lignée des Bourbons.
    Ainsi, en cette assemblée du 16
juillet 1316, se trouvaient réunies les trois branches capétiennes qui allaient
pour cinq siècles encore régner sur la France. Les trois dynasties pouvaient ce
jour-là se contempler, en leur fin ou en leur souche : celle des Capétiens
directs qui s’éteindrait bientôt par Philippe de Poitiers et Charles de La
Marche ; celle des Valois qui, avec le fils de Charles, prendrait la suite
pour treize règnes ; celle enfin des Bourbons, qui n’apparaîtrait au trône
qu’à l’extinction des Valois, lorsqu’il faudrait remonter une fois encore à la
descendance de Saint Louis pour désigner un roi. Chaque rupture de dynastie
s’accompagnerait de guerres épuisantes, dévastatrices. Et chaque race se
terminerait par trois frères…
    La combinaison entre les actes des
hommes et l’imprévu des destins ne cessera jamais d’étonner. Toute l’histoire
de la monarchie française, pendant cinq siècles, avec ses grandeurs et ses
drames, devait découler du règlement de succession que Miles de Noyers, ancien
maréchal de l’ost et conseiller au Parlement, achevait de lire aux « hauts
hommes du royaume », ce 16 juillet-là.
    Alignés sur des bancs ou adossés aux
murs, barons, prélats, grands officiers, docteurs, juristes et délégués des
bourgeois de Paris, avaient écouté attentivement. Philippe de Poitiers les
regardait, plissant les yeux pour combattre sa myopie qui brouillait un peu les
visages et estompait le contour des groupes.
    « J’ai un fils ; j’ai un
fils, se disait-il avec bonheur, et ils ne l’apprendront que demain. » Il
se disposait à soutenir l’attaque du duc de Bourgogne. Or l’assaut vint d’un
autre côté.
    Il y avait en cette assemblée un
homme dont rien ne pouvait avoir raison, que la noblesse du sang
n’impressionnait pas car il était du meilleur, qui ne s’inclinait pas devant la
force car il était capable de renverser un bœuf, et sur lequel n’avait prise
aucune combinaison autre que celles échafaudées par lui-même. Ce personnage
était Robert d’Artois. Ce fut lui, aussitôt que Miles de Noyers eut terminé la
lecture, qui se leva pour engager le combat, sans s’être concerté avec
personne.
    Comme chacun, ce jour-là, faisait
étalage de sa famille, Robert d’Artois avait amené sa mère, Blanche de
Bretagne, une toute petite femme au visage mince, aux cheveux blancs, aux
membres frêles, et qui semblait constamment stupéfaite d’avoir donné le jour à
une telle merveille de géant.
    Coudes écartés, et les pouces passés
dans sa ceinture d’argent, Robert d’Artois lança :
    — Je m’ébaubis, Messeigneurs,
qu’on nous vienne offrir un nouveau règlement de régence, de toutes pièces
fabriqué pour le propos, alors qu’il en existe déjà un, dicté par notre dernier
roi.
    Les yeux se tournèrent vers le comte
de Poitiers, et certains des assistants se demandèrent avec inquiétude si l’on
n’avait pas escamoté une partie du testament de Louis X.
    — Je ne vois pas, mon cousin,
dit Philippe de Poitiers, de quel règlement vous voulez parler. Vous étiez présent
aux derniers moments de mon frère, avec bien d’autres seigneurs qui sont ici,
et nul ne m’a jamais fait savoir qu’il eût exprimé aucune volonté à ce sujet.
    — Aussi bien, mon cousin,
répliqua Robert d’un ton narquois, quand je dis « notre dernier
roi », je ne parle pas de votre frère Louis Dixième, que Dieu
garde !… mais de votre père, notre bien-aimé Sire Philippe le Bel… que
Dieu garde en même temps ! Or le roi Philippe avait décidé, écrit et fait
jurer à ses pairs, par serment, que s’il venait à mourir avant que son fils fût
assez homme pour exercer le gouvernement, les offices royaux et la charge de
régence seraient remis à son frère, Monseigneur Charles, comte de Valois.
Adoncques, mon cousin, puisque aucun autre règlement n’a été fait depuis, c’est
bien celui-là, il me semble, qu’il faudrait appliquer.
    Blanche de Bretagne opinait de la
tête, souriait d’une bouche sans dents et promenait à la ronde ses yeux vifs et
brillants, conviant du regard ses voisins à approuver l’intervention de son
fils. Il n’était parole prononcée par ce braillard, procès

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