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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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allaient d’Auxerre à Pontarlier et de Mâcon à Besançon, avoir
une main en France et l’autre vers le Saint Empire, puisque la comté était
palatine, ce mirage devenait-il soudain réalité ? La route de l’Empire
s’ouvrait, et ses vieux prestiges carolingiens…
    Louis d’Évreux ne put s’empêcher
d’admirer l’audace de son neveu ; dans un jeu qui semblait perdu, c’était
grosse relance qu’il faisait là. Mais à y regarder de plus près, le
raisonnement de Philippe se concevait sans peine ; il ne proposait
finalement que les terres de Mahaut. On avait donné à celle-ci l’Artois, aux
dépens de Robert, pour qu’elle lâchât la comté ; on avait fait glisser à
Philippe, par la dot de sa femme, la comté, pour qu’il pût postuler à
l’élection impériale. Maintenant Philippe guignait la couronne de France, ou
tout au moins la régence pour dix ans à courir ; la comté avait donc moins
de raisons de l’intéresser, à condition qu’elle n’allât qu’à un vassal, ce qui
était le cas.
    — Pourrais-je voir Madame votre
fille ? demanda Eudes aussitôt et sans plus songer d’en référer à sa mère.
    — Vous l’avez vue tout à
l’heure, mon cousin, au repas.
    — Certes, mais je l’avais mal
regardée… je veux dire, je ne l’avais point considérée de cet œil.
    On envoya chercher la fille aînée du
comte de Poitiers, qui était occupée à jouer à chat perché avec les autres
enfants [13] .
    — Que me veut-on ? Qu’on
me laisse à rire, dit la petite fille qui poursuivait le dauphiniet du côté des
écuries.
    — Monseigneur votre père vous
requiert, lui dit-on.
    Elle prit le temps d’attraper le
petit Guigues, de lui crier : « Chat ! » en le frappant
dans le dos, et puis suivit, boudeuse, mécontente, le chambellan qui la prit
par la main.
    Encore tout essoufflée, les joues
moites, les cheveux sur le visage, et sa robe brochée couverte de poussière,
elle se présenta ainsi à son cousin Eudes qui avait quatorze ans de plus
qu’elle. Une petite fille ni laide ni jolie, encore maigriotte, et qui ne se
doutait nullement que son destin se confondait en cet instant avec celui de la
France… Il est des enfants qui donnent tôt à deviner la mine qu’ils auront
adultes ; sur celle-ci on ne distinguait rien. On ne voyait que la comté
de Bourgogne, en auréole.
    Une province est belle chose ;
encore faut-il que la femme ne soit pas difforme. « Si elle a les jambes
droites, j’accepte », se dit le duc. Il était bien placé pour se défier de
cette sorte de surprise, puisque sa seconde sœur, la cadette de Marguerite,
qu’on avait mariée à Philippe de Valois, n’avait pas les talons à la même
hauteur [14] .
Dans l’animosité présente des Valois envers la Bourgogne, cette boiterie-là,
qui n’apparaissait pas au contrat, entrait pour quelque chose ! Le duc
demanda donc, sans que cela parût surprendre personne, qu’on voulût bien
relever les jupes de l’enfant pour juger de la façon dont ses pieds étaient
faits. La petite n’avait pas la cuisse ni le mollet gras ; elle tenait de
son père. Mais l’os était bien droit.
    — Vous avez raison, mon cousin,
dit le duc. Ce serait là bonne façon de sceller notre amitié.
    — Vous voyez bien ! dit
Poitiers. Ne vaut-il pas mieux cela que de se quereller ? Je veux
désormais vous appeler beau-fils.
    Il lui ouvrit les bras ; le
gendre avait, à trente mois près, l’âge de son beau-père.
    — Allez, ma fille, allez à
votre tour baiser votre fiancé, dit Philippe à l’enfant.
    — Ah ! il est mon
fiancé ? dit la petite.
    Elle se redressa d’un air
orgueilleux.
    — Eh mais ! ajouta-t-elle,
il est plus grand que le dauphiniet.
    « Comme j’ai bien agi le mois
dernier, pensait Philippe, en ne donnant au dauphin que ma troisième fille, et
en gardant celle-ci qui pouvait disposer de la comté ! »
    Le duc de Bourgogne dut soulever sa
future épouse jusqu’à ses joues afin qu’elle y posât un gros baiser
mouillé ; puis, dès qu’elle eut retouché terre, elle partit vers la cour,
pour annoncer fièrement aux autres enfants :
    — Je suis fiancée !
    Les jeux s’interrompirent.
    — Et pas un petit fiancé comme le
tien, dit-elle à sa sœur en désignant le dauphiniet. Le mien est grand comme
notre père.
    Puis, apercevant la petite Jeanne de
Navarre qui boudait, un peu à l’écart, elle lui lança :
    — Maintenant, je vais être

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