La Loi des mâles
son
valet, dégrafe ma cotte, délace ma broigne [15] .
Quand ce fut fait, il glissa la
poignée de son blé sous sa chemise, à même la peau.
— Je jure Dieu, Messeigneurs,
dit-il d’une voix éclatante, que ces épis ne quitteront point ma poitrine que
je n’aie reconquis mon comté jusqu’au dernier champ. En guerre,
maintenant !
Il remonta en selle et lança son
cheval au galop.
— N’est-ce pas, Lormet,
criait-il dans le vent de la course, que la terre ici a meilleur son sous les
sabots de nos chevaux ?
— Certes, certes, Monseigneur,
répondait le tueur au cœur tendre qui partageait en tout les opinions de son
maître. Mais vous avez votre cotte flottante ; ralentissez un peu que je
vous rajuste.
Ils chevauchèrent un moment ainsi.
Puis le plateau s’abaissa brusquement, et là Robert découvrit, scintillante
sous le soleil dans une vaste prairie, une armée de dix-huit cents cuirasses
venue l’accueillir. Il n’aurait jamais cru trouver ses partisans si nombreux au
rendez-vous.
— Eh mais, Varennes !
C’est un beau travail que tu as fait là, mon compère ! s’écria Robert
ébloui.
Dès que les chevaliers d’Artois
l’eurent reconnu, une immense clameur s’éleva de leurs rangs :
— Bienvenue à notre comte
Robert ! Longue vie à notre gentil seigneur !
Et les plus empressés lancèrent
leurs chevaux vers lui ; les genouillères de fer se heurtaient, les lances
oscillaient comme une autre moisson.
— Ah ! Voici
Caumont ! voici Souastre ! Je vous reconnais à vos écus, mes compagnons,
disait Robert.
Par la ventaille levée de leur
casque, les cavaliers montraient des visages ruisselants de sueur, mais que
l’allégresse belliqueuse épanouissait. Beaucoup, petits sires de campagne,
portaient de vieilles armures démodées, héritées d’un père ou d’un grand-oncle,
et qu’ils avaient fait ajuster tant bien que mal à leurs mesures. Ceux-là avant
le soir blesseraient aux jointures, et leur corps serait couvert de croûtes
saignantes ; tous d’ailleurs avaient dans le bagage de leur valet d’armes
un pot d’onguent et des bandes de toile pour se panser.
Au regard de Robert s’offraient tous
les échantillons de la mode militaire depuis un siècle, toutes les formes de
heaumes et de cervelières ; certains de ses hauberts et de ces grosses
épées dataient de la dernière croisade. Des élégants de province s’étaient
empanachés de plumes de coq, de faisan ou de paon ; d’autres avaient la
tête surmontée d’un dragon doré, et l’un même s’était plu à visser sur son
heaume un buste de femme nue qui le faisait beaucoup remarquer.
Tous avaient repeint de frais leurs
courts écus où éclataient en couleurs criardes leurs signes d’armoiries,
simples ou compliqués selon leur degré d’ancienneté de noblesse, les marques
les plus simples appartenant forcément aux plus vieilles familles.
— Voici Saint-Venant, voici
Longvillers, voici Nédonchel, disait Jean de Varennes, présentant les
chevaliers à Robert.
— Votre féal, Monseigneur,
votre féal, disait chacun à l’appel de son nom.
— Féal, Nédonchel… Féal,
Bailliencourt… Féal, Picquigny… répondait Robert en passant devant eux.
À quelques jeunots, redressés et
tout fiers d’être harnachés en guerre pour la première fois, Robert promit de
les armer chevaliers lui-même, s’ils se montraient vaillants dans les prochains
engagements.
Puis il décida de nommer
sur-le-champ deux maréchaux, comme dans l’ost royal. Il choisit d’abord le sire
de Hautponlieu, qui avait travaillé fort activement à rassembler cette noblesse
tapageuse.
— Et puis je vais prendre…
voyons… toi, Beauval ! annonça Robert. Le régent a un Beaumont pour
maréchal ; moi, j’aurai un Beauval.
Les petits seigneurs, friands de
jeux de mots et de calembours, acclamèrent en riant Jean de Beauval qui fut
ainsi désigné à cause de son nom.
— À présent, Monseigneur
Robert, dit Jean de Varennes, quelle route voulez-vous prendre ? Nous
rendrons-nous d’abord à Saint-Pol, ou bien droit à Arras ? L’Artois est
tout à vous, vous n’avez qu’à choisir.
— Quelle route mène à
Hesdin ?
— Celle où vous êtes,
Monseigneur, qui passe par Frévent.
— Eh bien, je veux aller tout
d’abord au château de mes pères.
Un mouvement d’inquiétude se dessina
parmi les chevaliers. C’était bien la malchance que Robert d’Artois, dès son
arrivée,
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