La Loi des mâles
Mello ?
— Madame Agnès demandait que
Madame Jeanne de Navarre fût remise à sa garde, et elle s’étonne, Monseigneur,
que vous ne lui ayez point encore fait réponse.
— Mais comment le pouvais-je,
mon cousin ? répondit Philippe s’adressant toujours à Eudes comme si Mello
n’avait joué entre eux que le rôle d’interprète d’une langue étrangère. C’est
une décision qui relève de la régence. Me voici aujourd’hui seulement en mesure
de faire droit à cette requête. Qui vous prouve, mon cousin, que je songe à
refuser ? Vous emmènerez, je pense, votre nièce avec vous.
Le duc, tout surpris de trouver si
peu de résistance, regarda Mello, et son visage semblait dire « Mais voici
un homme avec lequel on peut s’entendre ! »
— À condition, mon cousin,
reprit le comte de Poitiers, à condition bien sûr que votre nièce ne soit pas
mariée sans mon consentement. C’est là chose évidente, l’affaire intéresse trop
la couronne, et vous ne pourriez vous passer de notre avis pour donner époux à
une fille qui peut devenir un jour reine de France.
La seconde partie de la phrase fit
passer la première. Eudes crut vraiment qu’il était dans l’esprit de Philippe
de faire couronner Jeanne si la reine Clémence n’accouchait pas d’un fils.
— Certes, certes, mon cousin,
dit-il, sur ce point nous sommes bien dans l’agrément.
— Alors, rien ne nous divise
plus et nous allons signer un bon accord, dit Philippe.
Sans attendre, il fit mander Miles
de Noyers, qui avait la meilleure plume pour rédiger ce genre de traité.
— Veuillez, messire, lui
dit-il, nous coucher ceci sur vélin. « Nous, Philippe, pair et comte de
Poitiers, régent des deux royaumes par la grâce de Dieu et notre bien-aimé
cousin, magnifique et puissant seigneur Eudes IV, pair et duc de
Bourgogne, nous jurons sur les Saintes Écritures de nous rendre bon service et
loyale amitié. » C’est l’idée, messire de Noyers, qu’en gros je vous
exprime là… « Et par cette amitié que nous nous jurons, avons en commun
décidé que Madame Jeanne de Navarre…»
Guillaume de Mello tira le duc par
la manche et lui dit un mot à l’oreille, à quoi le duc comprit qu’il était en
train de se laisser jouer.
— Eh ! mais mon cousin,
s’écria-t-il, ma mère ne m’avait point autorisé à vous reconnaître pour
régent !
On fut bientôt dans l’impasse. Philippe
ne consentait à se dessaisir de l’enfant que si le duc avalisait le règlement
de régence. Il offrit diverses garanties. Mais l’autre s’obstinait ;
c’était sur les droits à la couronne qu’il exigeait un engagement formel.
« S’il n’y avait point ce Mello,
qui est rusé, pensait le comte de Poitiers, Eudes aurait déjà capitulé. »
Il feignit la fatigue, étendit ses longues jambes, croisa les pieds l’un sur
l’autre, se frotta le menton.
Louis d’Évreux observait et se
demandait comment son neveu pourrait se tirer d’affaire. « Je vois bientôt
des lances s’agiter du côté de Dijon », se disait cet homme sage. Il était
sur le point d’intervenir pour conseiller : « Allons cédons sur les
droits de la couronne », lorsque Philippe demanda soudain au
Bourguignon :
— Voyons, mon cousin,
n’avez-vous pas désir de vous marier ?
L’autre ouvrit des yeux ronds,
croyant d’abord, car il n’était pas vif, que Philippe envisageait de le fiancer
à Jeanne de Navarre.
— Puisque nous venons de nous
jurer éternelle amitié, reprit Philippe comme s’il tenait pour acquises les
quelques lignes restées inachevées, et que par-là, mon cher cousin, vous me
donnez grand appui, je voudrais vous faire, à mon tour, belle manière, et
j’aurais plaisir à doubler notre lien d’affection par plus étroite parenté. Que
ne prendriez-vous en mariage ma fille aînée, Jeanne ?
Eudes IV regarda Mello, puis
Louis d’Évreux, puis Miles de Noyers qui attendait, le calame levé.
— Mais, mon cousin, quel âge
a-t-elle ? demanda-t-il.
— Elle a huit ans, mon cousin,
répondit Philippe qui prit un temps, puis ajouta : elle peut avoir aussi
la comté de Bourgogne, qui nous vient de sa mère.
Eudes releva la tête comme un cheval
qui sent l’avoine. La réunion des deux Bourgognes, le duché et la comté, les
ducs héréditaires ne cessaient d’en rêver depuis le temps de Robert I er ,
petit-fils de Hugues Capet. Joindre la cour de Dole à celle de Dijon, unir les
territoires qui
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