La Loi des mâles
soif, j’ai grand soif…
gémissait la reine.
La ventrière chuchota à madame de
Bouville :
— Elle a frissonné une grande
heure ; les dents lui claquaient, et ses lèvres étaient violettes comme au
visage des morts. Nous avons cru qu’elle passait. Nous l’avons bien frictionnée
par tout le corps ; alors sa peau s’est remise à bouillir comme vous la
voyez. Elle a sué si fort qu’il faudrait lui changer ses linceuls ; mais on
ne trouve point les clefs de la chambre aux draps, que tenait Eudeline.
— Je vais vous les donner,
répondit madame de Bouville.
Elle conduisit Marie dans une
chambre voisine, où un feu brûlait également.
— Vous vous installerez ici,
dit-elle.
On apporta le berceau royal. Parmi
tous les linges qui l’entouraient, le roi était à peine visible. Il avait un
nez minuscule, des paupières épaisses et closes, et somnolait, chétif, dans une
immobilité molle. On devait s’approcher de très près pour s’assurer qu’il
respirait. De temps en temps une infime grimace, une contraction douloureuse,
donnait quelque relief à ses traits.
Devant ce petit être dont le père
était mort, dont la mère allait peut-être mourir, et qui donnait si peu de
marques de vie, Marie de Cressay fut saisie d’une intense pitié :
« Je le sauverai ; je le ferai grand et fort » pensa-t-elle.
Comme il n’y avait qu’un seul
berceau, elle coucha son propre enfant à côté du roi.
II
« LAISSONS FAIRE DIEU »
Depuis vingt-quatre heures, la
comtesse Mahaut ne décolérait pas.
Devant Béatrice d’Hirson qui
l’aidait à se vêtir pour le baptême du roi, elle laissa exploser sa rage et son
dépit.
— On aurait pu croire, dolente
comme l’était Clémence, qu’elle ne viendrait pas au terme de ses couches ?
On en voit de plus fortes qui avortent en chemin. Non ! Elle a tenu ses
neuf mois. Elle pouvait nous donner un enfant mort-né ? Nenni ! Son
rejeton vit. Au moins ce pouvait être une fille ? Point ! Il a fallu
que ce soit un garçon. Valait-il la peine, ma pauvre Béatrice, d’avoir tant
fait et couru si gros périls, qui ne sont point encore écartés, pour être
jouées par le sort de pareille façon !
Car Mahaut, maintenant, était
profondément convaincue de n’avoir assassiné le Hutin que pour donner à son
gendre la couronne de France. Elle regrettait presque de n’avoir pas tué la
femme en même temps que le mari, et toute sa haine se tournait à présent contre
le nouveau-né qu’elle n’avait pas encore vu, contre le bébé auquel elle allait
dans un moment servir de marraine et dont l’existence à peine éclose mettait un
frein à ses ambitions.
Cette femme, puissante entre les
puissants, richissime, despotique, avait une véritable nature de criminelle. Le
meurtre était son moyen de prédilection pour infléchir le destin à son
profit ; elle aimait en caresser le projet, en respirer le souvenir ;
elle y puisait l’excitation des affres, les délectations de la ruse, la joie
des triomphes secrets. Si un premier assassinat n’avait pas eu tout le résultat
escompté, elle commençait d’accuser le sort d’injustice, se prenait elle-même
en pitié, et se mettait tout naturellement à chercher la nouvelle tête qui lui
faisait obstacle et qu’elle pourrait abattre.
Béatrice d’Hirson, allant au-devant
des pensées de la comtesse, dit lentement, en baissant ses longs cils :
— J’ai gardé, Madame… un peu de
cette bonne farine qui nous a si bien servi pour les dragées du roi… ce
printemps.
— Tu as bien fait, tu as bien
fait, répondit Mahaut ; il vaut mieux être toujours pourvu ; nous
avons tant d’ennemis !
Béatrice, qui était pourtant de
belle taille, élevait les bras pour arranger la mentonnière de la comtesse et
lui poser le manteau sur les épaules.
— Vous allez tenir l’enfant,
Madame. Vous n’aurez plus, peut-être, cette occasion de sitôt…, reprit-elle. Ce
n’est qu’une poudre, vous savez… et qui s’aperçoit à peine sur le doigt.
Elle parlait d’une voix suave,
tentatrice, et comme s’il se fût agi d’une friandise.
— Ah non ! s’écria Mahaut,
pas pendant le baptême ; cela nous porterait malheur !
— Croyez-vous ? C’est une
âme sans péché que vous rendriez au Ciel.
— Et puis Dieu sait comment mon
gendre prendrait la chose ! Je n’ai pas oublié le visage qu’il eut quand
je le dessillai sur la fin de son frère, et l’espèce de froideur
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