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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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avait fait répéter longuement à la jeune femme les
gestes qu’elle aurait à accomplir. Le bébé était empaqueté dans un manteau deux
fois plus long que lui, sur lequel était posé un voile de soie violette qui
tombait jusqu’au sol, comme une traîne.
    On se dirigea vers la chapelle du
château. Des écuyers ouvraient la marche, tenant des cierges allumés. Le
sénéchal de Joinville venait le dernier, soutenu et pourtant chancelant.
Néanmoins il était un peu sorti de sa torpeur habituelle parce que le
nouveau-né s’appelait Jean, comme lui-même.
    La chapelle était tendue de
tapisseries, et la pierre des fonts garnie de velours violet. À côté se
trouvait une table où l’on avait étendu une couverture de menu-vair, et par-dessus
une nappe fine, et par-dessus encore placé des coussins de soie. Quelques
grilles à braises ne suffisaient pas à dissiper l’humide froideur.
    Marie déposa l’enfant sur la table
pour le démailloter. Attentive à ne point faire d’erreurs, elle avait le cœur
battant, et distinguait à peine les visages autour d’elle, tant elle était
émue. Aurait-elle jamais imaginé, elle, fille chassée de sa famille, qu’il lui
appartiendrait de tenir un rôle si important dans le baptême d’un roi, entre le
régent de France et la comtesse d’Artois ? Éblouie par ce retour de
fortune, elle était pleine de gratitude, à présent, pour madame de Bouville, et
lui avait demandé pardon de son insoumission de la veille.
    Tout en déroulant les langes, elle
entendit le connétable s’informer de son nom, et d’où elle venait ; elle
se sentit rougir.
    Le chapelain de la reine avait
soufflé quatre fois sur le corps du nouveau-né, comme aux quatre branches d’une
croix, pour ôter de lui le démon par la vertu du Saint-Esprit ; puis,
crachant sur son index, il lui avait enduit de salive les narines et les
oreilles, pour signifier qu’il ne devait pas écouter les voix du diable, ni
respirer les tentations du monde et de la chair.
    Philippe et Mahaut soulevèrent le
petit roi l’un par les jambes et l’autre par les épaules. Le régent, de ses
yeux myopes, considérait avec insistance le sexe minuscule de l’enfant, ce rose
vermisseau qui mettait en échec toute sa savante combinaison successorale, ce
dérisoire symbole de la loi des mâles, infime mais infranchissable obstacle
entre lui et la couronne.
    « De toute manière, pensait
Philippe pour se consoler, je suis régent durant quinze années. En quinze ans
bien des choses peuvent survenir ; serai-je moi-même vivant dans quinze
ans ? Et cet enfant vivra-t-il jusque-là ? »
    Mais régence n’est pas royauté.
    L’enfant était resté fort calme, et
même somnolent pendant les rites préliminaires. Il ne fit entendre sa voix que
lorsqu’on le plongea entièrement dans l’eau froide ; mais alors, il hurla
jusqu’à s’en étrangler. Par trois fois, tandis que les autres parrains et
marraines, Gaucher, Jeanne de Poitiers, les Bouville, le sénéchal, étendaient
les mains au-dessus de son petit corps nu, il fut immergé, d’abord avec la tête
vers l’Orient puis au Nord, puis au Sud, pour figurer le dessin de la Croix [19] .
    Jean I er se calma
aussitôt qu’on l’eut sorti du bain glacial, et accepta paisiblement le saint
chrême dont on lui oignit le front. Puis on le reposa sur les coussins où Marie
de Cressay se mit à le sécher tandis que les assistants se tassaient au plus
près de la chaleur des poêles à braise.
    Soudain la voix de Marie de Cressay
emplit la chapelle.
    — Seigneur !
Seigneur ! Il trépasse ! cria-t-elle.
    Tous se projetèrent vers la table.
Le bébé-roi avait pris une teinte bleue qui fonçait d’instant en instant
jusqu’à devenir noirâtre ; il avait le corps raidi, les bras crispés, la
tête tordue, et ses paupières ouvertes ne laissaient apparaître que des globes
blancs.
    Une main invisible étouffait cette
vie sans conscience, entourée de cierges vacillants et de fronts anxieusement
penchés.
    Mahaut entendit murmurer :
    — C’est elle.
    Elle releva les yeux et rencontra
les regards du ménage Bouville. « Qui a donc fait le coup pour m’en
charger ? » se demanda-t-elle. Cependant la ventrière avait pris
l’enfant des mains tremblantes de Marie et s’efforçait de le ranimer.
    — Il n’est pas sûr qu’il meure,
il n’est pas sûr, dit-elle.
    Le nourrisson resta ainsi rigide,
distendu et sombre près de deux minutes qui parurent

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