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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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infinies ; puis,
brusquement, il fut agité de secousses violentes projetant la tête en tous
sens. Les membres se retournaient ; on n’eût jamais cru qu’une telle force
pût parcourir un corps si chétif ; la ventrière devait le serrer pour
qu’il ne lui échappât. Le chapelain se signa, comme s’il était en présence
d’une manifestation diabolique, et se mit à réciter les prières des agonisants.
L’enfant grimaçait, bavait ; son aspect noirâtre avait disparu pour faire
place à une pâleur glacée, non moins effrayante. Un moment il parut s’apaiser,
urina sur la robe de la ventrière et on le pensa sauvé. Puis aussitôt sa tête
tomba ; il devint mou, inerte, et cette fois chacun vraiment le jugea
mort.
    — Il était grand temps de le
baptiser, dit le connétable.
    Philippe de Poitiers ôtait de ses
mains les gouttes chaudes tombées des cierges.
    Et soudain le petit cadavre agita
les pieds, poussa quelques cris, faibles encore mais plutôt joyeux, et ses
lèvres s’animèrent d’un mouvement de succion. Le roi était en vie, et il
voulait téter.
    — Le démon s’est fort débattu
avant de lui sortir du corps, dit le chapelain.
    — Il n’est point fréquent,
expliqua la ventrière, que les convulsions saisissent les enfants si tôt. C’est
parce qu’il est venu avec les fers ; cela se voit parfois. Et puis le lait
de la nourrice lui a manqué pendant plusieurs heures…
    Marie de Cressay se sentit coupable.
« Si au lieu de me disputer avec Madame de Bouville, j’étais accourue
aussitôt… » pensa-t-elle.
    Nul, évidemment, n’aurait mis en
cause l’immersion en eau froide, ni aucune des tares héréditaires, boiterie,
démence, épilepsie, qui reparaissaient assez régulièrement dans la famille.
    — Croyez-vous qu’il ait à
souffrir d’autres accès ? demanda Mahaut.
    — C’est fort à craindre,
Madame, répondit la ventrière. On ne sait jamais quand va venir ce mal, ni
comment il finit.
    — Le pauvre petit ! dit
Mahaut bien fort.
    On reporta le roi au château et l’on
se sépara sans joie.
    Philippe de Poitiers ne desserra pas
les dents tout le temps du retour. Rentré au Palais, il laissa sa belle-mère le
suivre et s’enfermer avec lui.
    — Vous avez manqué de peu, tout
à l’heure, d’être roi, mon fils, lui dit-elle.
    Philippe ne répondit pas.
    — En vérité, après ce que nous
avons vu, personne ne s’étonnerait si cet enfant mourait ces jours-ci,
reprit-elle.
    Le régent continuait de se taire.
    — S’il venait à disparaître,
vous seriez toutefois obligé d’attendre la majorité de Jeanne de Navarre.
    — Nenni, ma mère, nenni,
répondit vivement Philippe. Nous ne sommes plus liés dorénavant par le
règlement de juillet. La succession de Louis est close ; c’est celle du
petit Jean qui s’ouvrirait alors. Entre mon frère et moi il y aurait eu un roi,
et je serais héritier de mon neveu.
    Mahaut le regarda avec
admiration : « Il a échafaudé cela pendant le baptême ! »
    — Vous avez toujours rêvé d’être
roi, Philippe, avouez-le, dit-elle. Déjà quand vous étiez enfant vous cassiez
des branches pour vous en faire des sceptres !
    Il releva un peu la tête et lui
sourit, laissant un silence s’écouler. Puis, redevenant grave :
    — Savez-vous, ma mère, que la
dame de Fériennes a disparu d’Arras, et aussi les hommes que j’avais envoyés
pour l’enlever et la mettre hors d’état de trop parler ? Il paraîtrait
qu’elle est tenue secrètement en quelque château d’Artois, et l’on dit que vos
barons, là-bas, s’en vantent.
    Mahaut se demanda ce que signifiait
cet avertissement. Philippe Voulait-il seulement la prévenir des dangers
qu’elle courait ? Ou lui prouver qu’il prenait soin d’elle ? Était-ce
manière de confirmer l’interdiction de jamais plus recourir au poison ? Ou
bien, au contraire, en faisant allusion à la fournisseuse, lui donnait-il à
entendre qu’elle avait les mains libres ?
    — De nouvelles convulsions
pourraient bien l’emporter, insista Mahaut.
    — Laissons faire Dieu, ma mère,
laissons faire Dieu, dit Philippe en rompant l’entretien.
    « Laisser faire Dieu… ou me
laisser faire, moi ? pensa la comtesse d’Artois. Il est prudent, jusqu’à
se garder de se souiller l’âme ; mais il m’a bien comprise… C’est ce gros
niais de Bouville qui va me causer le plus de tracas. »
    Dès cet instant son imagination
commença de travailler.

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