La Loi des mâles
qu’il me
témoigne depuis. Trop de gens m’accusent à voix basse. C’est assez d’un roi
pour l’année ; subissons un moment celui qui vient de nous naître.
Ce fut une maigre cavalcade, presque
clandestine, qui partit pour Vincennes faire de Jean I er un
chrétien ; et les barons qui avaient préparé leurs atours, attendant
d’être conviés à la cérémonie, en furent pour leurs frais.
La maladie de la reine, le fait que
la naissance ait eu lieu hors de Paris, la grisaille de l’hiver, et enfin le
peu de joie qu’éprouvait le régent d’avoir un neveu, tout s’accordait pour que
ce baptême fût rapidement expédié, comme une formalité.
Philippe arriva à Vincennes
accompagné de son épouse Jeanne, de Mahaut, de Gaucher de Châtillon et de
quelques écuyers. Il avait négligé d’avertir le reste de la famille. D’ailleurs
Valois parcourait ses fiefs pour s’y faire de l’argent ; Évreux était
resté à Amiens pour achever la liquidation de l’affaire d’Artois. Quant à
Charles de La Marche, Philippe avait eu, la veille, une vive altercation avec
lui. La Marche, en l’honneur de la naissance du roi, demandait à son frère
l’élévation de son apanage en pairie ainsi qu’un accroissement de ses revenus.
— Eh ! mon frère, avait
répondu Philippe, je ne suis que le régent ; le roi seul pourra vous
conférer la pairie… à sa majorité.
Les premiers mots de Bouville, en
accueillant le régent dans l’avant-cour du manoir, furent pour demander :
— Personne n’a d’armes,
Monseigneur ? Personne ne porte dague, ni stylet, ni miséricorde ?
On ne pouvait savoir si cette
inquiétude visait les gens d’escorte ou les parrains eux-mêmes.
— Je n’ai pas coutume,
Bouville, répondit le régent, d’être suivi d’écuyers désarmés.
Bouville, à la fois timide et
obstiné, pria les écuyers de rester dans la première cour. Ce zèle dans la
prudence commença d’agacer le régent.
— J’apprécie, Bouville, dit-il,
le soin avec lequel vous avez veillé au ventre de la reine ; mais vous
n’êtes plus curateur ; c’est à moi-même et au connétable qu’il appartient,
maintenant, de veiller sur le roi. Nous vous en laissons la charge, n’en abusez
point.
— Monseigneur !
Monseigneur ! balbutia Bouville, je n’avais point dessein de vous
offenser. Mais il se dit tant de choses dans le royaume… Enfin, je veux que
vous voyiez que je suis fidèle à ma tâche, et que j’en sais tout l’honneur.
Il était peu habile à dissimuler. Il
ne pouvait s’empêcher de regarder Mahaut de biais, et de rebaisser les yeux
aussitôt.
« Décidément, tout un chacun me
soupçonne et se défie de moi », pensa la comtesse.
Jeanne de Poitiers feignait de ne
rien remarquer. Gaucher de Châtillon, qui était hors de l’affaire, brisa la
gêne en disant :
— Allons, Bouville, ne nous
laissez point geler : entrons donc.
On ne se rendit pas au chevet de la
reine. Les nouvelles que donna madame de Bouville étaient fort
alarmantes : la fièvre continuait de dévorer la malade qui se plaignait
d’atroces maux de tête et était secouée à tout instant par des nausées.
— Son ventre se remet à gonfler
comme si elle n’avait point accouché, expliqua madame de Bouville. Elle ne peut
trouver le sommeil, supplie qu’on arrête les cloches qui lui sonnent aux
oreilles et nous parle sans cesse comme si elle s’adressait non point à nous,
mais à sa grand-mère, Madame de Hongrie, ou au roi Louis. C’est pitié que de
l’entendre ainsi perdre la raison, sans pouvoir la faire taire.
Vingt ans de métier de chambellan
auprès de Philippe le Bel avaient laissé au comte de Bouville une longue
expérience des cérémonies royales. Combien de baptêmes déjà n’avait-il pas
réglés ?
Les objets rituels furent distribués
aux assistants. Bouville et deux gentilshommes de la garde se passèrent au col
de longues serviettes blanches dont ils tenaient les extrémités étendues devant
eux, pour en recouvrir, l’un le bassin empli d’eau bénite, l’autre le bassin
vide, le troisième la coupe qui contenait le sel.
La ventrière prit le chrémeau dont
on coifferait l’enfant après l’onction.
Puis la nourrice s’avança, portant
le roi.
« Oh ! La belle fille que
voilà ! » pensa le connétable.
Madame de Bouville avait fait
revêtir à Marie de Cressay une robe de velours rosé, avec un peu de fourrure au
col et aux poignets, et elle
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