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La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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couru les routes, connu les misères du petit peuple et découvert les
faiblesses des grands. Tu as approché les quatre cours qui dominent l’Europe,
celles de Paris, de Londres, de Naples et d’Avignon. Il n’est pas arrivé à
beaucoup de gens de se trouver enfermés dans un conclave ! Tu t’es rompu
aux affaires. Je te remettrai ta part ; la somme en est plaisante. L’amour
t’a fait commettre quelques sottises. Tu laisses un bâtard en chemin comme
chacun qui a beaucoup voyagé… Et tu n’as que vingt ans. Quand souhaites-tu
partir ?
    — Demain, oncle Spinello,
demain si vous voulez bien… Mais je reviendrai ! ajouta Guccio d’un ton
rageur.
    — Eh ! je l’espère bien,
mon garçon ! J’espère que tu ne vas pas laisser mourir ton vieil oncle
sans le revoir !
    — Je reviendrai un jour, et
j’enlèverai mon enfant. Car il est à moi, après tout, autant qu’aux
Cressay ! Pourquoi le leur laisserais-je ? Pour qu’ils relèvent dans
leur écurie, comme un chien de mauvaise race ! Je l’enlèverai, tu entends,
et ce sera le châtiment de Marie. Tu sais ce qu’on dit en notre pays :
vengeance de Toscan…
    Un grand vacarme, venu du
rez-de-chaussée, lui coupa la parole. La maison aux poutres de bois tremblait
sur ses fondations comme si douze fardiers fussent entrés dans la cour. Les
portes claquaient.
    L’oncle et le neveu se portèrent
vers l’escalier à vis qu’emplissait déjà un bruit de charge. Une voix tonna.
    — Banquier ! Où es-tu,
banquier ? Il me faut de l’argent.
    Et Monseigneur Robert d’Artois
apparut en haut des marches.
    — Regarde-moi bien, banquier
mon ami, je sors de prison dans l’instant ! s’écria-t-il. Le
croirais-tu ? Mon doux, mon mielleux, mon borgne cousin… le roi veux-je
dire, puisqu’il semble qu’il le soit… s’est enfin rappelé que je croupissais en
geôle où il m’avait jeté, et il me rend à l’air libre, l’aimable garçon !
    — Soyez le bienvenu,
Monseigneur, dit Tolomei sans enthousiasme.
    Et il se pencha au-dessus de
l’escalier, doutant encore qu’un tel passage d’ouragan pût être l’œuvre d’un
seul homme.
    Baissant la tête pour ne pas se
heurter au linteau de la porte, d’Artois pénétra dans le cabinet du banquier et
marcha droit vers un miroir.
    — Holà ! Mais j’ai un
visage de mort ! dit-il en se prenant les joues à pleines mains. Il faut
avouer qu’on dépérirait à moins. Sept semaines, imagine-toi, à ne voir le jour
que par une lucarne croisée de fers gros comme un dard d’âne ! Deux fois
le jour un brouet qui ressemblait déjà à une colique avant même d’être mangé.
Par bonheur, mon Lormet me faisait passer des plats de sa façon, sinon je ne
vivrais plus à l’heure qu’il est. Le coucher n’était pas meilleur que la
pitance. Par égard à mon sang royal, on m’avait gratifié d’un lit. J’ai dû en
casser le bois pour pouvoir m’allonger les jambes ! Patience ; tout
cela lui sera compté, au cher cousin.
    En vérité, Robert n’avait pas maigri
d’une once et la réclusion avait peu mordu sur sa solide nature. Si sa
carnation était moins vive, en revanche ses yeux gris, couleur de silex,
brillaient plus méchamment que naguère.
    — Belle liberté dont on me
gratifie ! « Vous êtes libre, Monseigneur, continua le géant imitant
le capitaine du Châtelet. Mais… mais vous ne pouvez vous écarter de plus de
vingt lieues de Paris ; mais la sergenterie du roi doit connaître votre
demeure ; mais la capitainerie d’Evreux, si vous poussez vers vos terres,
doit en être avertie. » Autrement dit : « Reste ici, Robert, à
battre les rues sous l’œil du guet, ou bien va-t’en moisir à Conches. Mais pas
un pied vers l’Artois, et pas un pied vers Reims ! On ne veut pas de toi
au sacre, surtout pas ! Tu pourrais bien y chanter quelque psaume qui ne
plairait pas à toutes les oreilles ! » Et l’on a bien choisi le jour
pour me relâcher. Point trop tôt, point trop tard. Toute la cour est
partie ; personne au Palais, personne chez Valois… Il m’a bien abandonné,
ce cousin-là ! Et me voici dans une ville morte, sans seulement un liard
en bourse pour souper ce soir et trouver quelque fille sur laquelle employer
mon humeur amoureuse ! Car sept semaines, vois-tu, banquier… non, tu ne
peux comprendre ; cette chose-là ne doit plus guère te taquiner. Remarque,
remarque, j’ai assez ribaudé en Artois pour me tenir au calme

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