Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Loi des mâles

La Loi des mâles

Titel: La Loi des mâles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
Vom Netzwerk:
si heureuse d’être à toi… Jamais je
n’aurais pensé… Je vois maintenant pourquoi Bouville semblait si gêné l’autre
jour. Il savait quelque chose, sûrement. Et pourtant les lettres que j’avais
reçues d’elle… Je ne comprends point. Veux-tu que j’aille revoir
Bouville ?
    — Je ne veux rien, je ne veux
plus rien ! cria Guccio. Je n’ai que trop importuné les grands de la terre
du soin de cette garce trompeuse. Jusqu’au pape lui-même, à qui j’ai demandé
protection pour elle… Aimante dis-tu ? Elle t’a fait cajoleries quand elle
se croyait repoussée par les siens et qu’elle ne voyait que nous pour recours.
Nous étions bien mariés pourtant ! Car l’impatience ne lui manquait pas de
se donner, mais non sans bénédiction de prêtre. Tu me disais qu’elle a passé
cinq jours auprès de la reine Clémence, à servir de nourrice ! La tête a
dû lui tourner de remplir un office qu’une quelconque chambrière eût pu tenir à
sa place. Moi aussi j’ai été près de la reine, et je l’ai autrement
aidée ! Au milieu de la tempête je l’ai sauvée…
    Il ne reliait plus ses idées,
divaguait de fureur et, à marcher dans la pièce en lançant la jambe, avait bien
parcouru un quart de lieue.
    — Peut-être si tu allais prier
la reine…
    — Ni la reine, ni
personne ! Que Marie retourne à son hameau fangeux, où l’on enfonce dans
le purin jusqu’aux chevilles. On lui aura sans doute trouvé un mari, un bon
mari à la semblance de ses crottés de frères, quelque chevalier poilu et
sentant fort, et qui lui fera d’autres enfants… Elle viendrait maintenant se
traîner à mes pieds que je n’en voudrais plus, tu entends, je n’en voudrais
plus !
    — Je crois bien que si elle
entrait, tu parlerais autrement, dit doucement Tolomei.
    Guccio pâlit, et se cacha les
paupières dans le fond de sa paume. « Ma belle Marie… » Il la
revoyait dans la chambre de Neauphle ; il la revoyait de tout près ;
il apercevait les points d’or de ses yeux bleu sombre. Comment une pareille
trahison avait-elle pu se dissimuler dans ces yeux là !
    — Je vais partir, mon oncle.
    — Où cela ? Tu retournes
en Avignon ?
    — La belle figure que j’y
ferais ! J’ai annoncé à tout un chacun que j’allais revenir avec mon
épouse ; je l’ai parée de toutes les vertus. Le Saint-Père lui-même sera
le premier à m’en demander des nouvelles…
    — Boccace me disait l’autre
jour que les Peruzzi vont sans doute affermer la recette des tailles dans la
sénéchaussée de Carcassonne…
    — Non ! Ni Carcassonne, ni
Avignon.
    — Ni Paris, bien sûr… dit
tristement Tolomei.
    Il vient à chaque homme, si égoïste
qu’il ait été, un moment, vers le soir de la vie, où il se sent las de ne
travailler que pour lui-même. Le banquier, après avoir attendu la présence
d’une jolie nièce et d’une famille heureuse en sa demeure, voyait soudain ses
propres espoirs s’effacer, et se dessiner à la place la perspective d’une longue
vieillesse solitaire.
    — Non, je veux partir, dit
Guccio. Je ne veux plus rien en cette France qui s’engraisse de nous et nous
méprise parce que nous sommes italiens. Qu’ai-je gagné en France, je te le
demande ? Une jambe raide, quatre mois d’hôtel-Dieu, six semaines dans une
église, et pour finir… ça ! J’aurais dû savoir que ce pays ne me vaudrait
rien. Rappelle-toi ! Le lendemain de mon arrivée, j’ai manqué renverser
dans la rue le roi Philippe le Bel. Ce n’était pas un bon présage ! Sans
parler de mes traversées de mer, où j’ai failli deux fois périr, et de tout le
temps passé à compter du billon aux vilains du bourg de Neauphle, parce que je
m’y croyais amoureux.
    — Tu t’es fait quand même
quelques bons souvenirs, dit Tolomei.
    — Bah ! On n’a pas besoin de
souvenirs à mon âge. Je veux rentrer en ma ville de Sienne où il ne manque pas
de belles filles, les plus belles du monde à ce qu’on m’affirme chaque fois que
je dis que je suis siennois. Moins gueuses, en tout cas, que celles
d’ici ! Mon père m’avait envoyé auprès de toi pour apprendre ; je
crois que j’ai assez appris.
    Tolomei ouvrit son œil gauche ;
il y avait un peu de brume sous cette paupière-là.
    — Tu as peut-être raison,
dit-il. Le chagrin te passera plus vite quand tu seras loin. Mais ne regrette rien,
Guccio. Ce n’est point un mauvais apprentissage que celui que tu as fait. Tu as
vécu,

Weitere Kostenlose Bücher