La lumière des parfaits
avaient plus cher à être taillés tous les ans de la moitié de leur avoir que d’être aux mains des Anglais. Un aller simple pour Londres pouvait bien ne pas avoir de retour si le duché d’Aquitaine n’était pas remis à l’Angleterre ou si les deux autres tiers de la rançon n’étaient point baillés dans les délais convenus.
Certes, selon les règles de la chevalerie, un otage n’était point un prisonnier ; il n’empêche qu’il ne jouissait que d’un faible degré de liberté, fortement surveillée au demeurant, et était privé du droit de gérer ses finances en son pays. Nous étions bien placés, nos compains et moi, pour l’affirmer.
Pendant une quinzaine de jours, le vainqueur et le vaincu se livrèrent à des déclarations de fraternité, de paix, entre deux banquets, trois joutes et moult parties de chasse, sur le chemin qui nous mena de Calais à Saint-Omer.
De Saint-Omer à Hesdin, Amiens, Compiègne, Senlis, nous chevauchâmes vers Paris. Nous parvînmes enfin dans les faubourgs, six semaines après notre débarquement.
Arrivés en notre capitale le treizième jour des ides de décembre 1360 {30} , par le faubourg Saint-Denis, nous longeâmes l’abbaye, située en pleine campagne, franchîmes l’enceinte du roi Philippe-Auguste.
Une foule en liesse accueillit son roi qui paradait sous un dais de drap d’or, à nous en donner la nausée : le vaincu était accueilli en vainqueur, sous les clameurs d’un petit peuple aussi versatile que peut l’être un troupeau sous la houlette du berger. Le bon peuple pourrait bien lui trancher le col demain, aussi promptement qu’il le clabaudait ce jour.
La nouvelle de son retour occultait pour quelque temps les conditions de sa libération :
« Vive le roi Jean ! Montjoie ! Saint-Denis ! Vive le roi Jean ! »
Le régent se porta au-devant de son père, à la hauteur du Pont-au-Roy. S’ensuivirent de grandes et touchantes effusions.
Notre cortège royal se dirigea ensuite vers le Palais de la Cité et nous nous recueillîmes dans la Sainte-Chapelle avant de tourner bride, de retraverser le Grand Pont, sous les applaudissements des habitants qui logeaient dans d’étonnantes et étroites maisons à colombages, construites de part et d’autre des rives de l’ouvrage : des échoppes où s’amoncelaient des victuailles, des poissons scintillants de fraîcheur, des fruits, des légumes, des étals débordants de produits de luxe, de pièces d’orfèvrerie, de bourses, de ceintures de cuir, de draps des Flandres…
Dans le cœur de cité, le ventre de Paris, les ruelles écumaient d’ordres huchés à oreilles étourdies, théâtre d’un ballet ininterrompu de charrois. Le temps était radieux, le ciel sans nuage, mais le soleil ne nous ardait point de ses espars.
Tout à la joie de pénétrer dans la capitale de notre royaume, nous ne sentions pas l’odeur fétide des détritus qui jonchaient le sol dans une ville de près de deux cent mil âmes !
Avant la tombée de la nuit, le château fort du Louvre nous ouvrit ses portes. Mieux qu’un château, une véritable forteresse adossée aux remparts, protégée par un double fossé, défendue par sa propre enceinte hérissée d’une dizaine de tours à poivrière.
Son donjon devait s’élever à plus de quinze toises pour un diamètre de six ou sept toises de longueur ! Un palais magnifique, certainement imprenable, qui commandait l’entrée de la capitale sur le fleuve Seine.
Gui de Salignac de la Mothe-Fénelon nous rejoignit quelques semaines plus tard. Un large sourire lui fendait le bec. Je le pris incontinent à mon service, en sa qualité d’écuyer désargenté.
Nous fûmes ainsi logés, tous les quatre, dans le Palais de la Cité où l’on hébergeait, dans un relatif confort, les visiteurs de marque. L’Étoile d’argent frappée au soleil d’or qu’Onfroi, Guilbaud et moi arborions sur nos tabars nous ouvrait toutes les portes sans que nous eussions besoin de présenter un sauf allant et venant.
Pendant que mes compains jouissaient d’une liberté retrouvée, jouant aux dés ou aux cartes dans les nombreuses tavernes de la capitale, je sollicitai et obtins du roi Jean l’accès à la fabuleuse librairie royale. À la parfin, faire partie de la Noble Maison du Roi ne présentait pas que des inconvénients !
Une seule ombre au tableau : l’éloignement de Marguerite et de notre progéniture. Les reconnaîtrais-je lorsque je
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