La lumière des parfaits
gueules, les trois premières en en chef, les trois autres en pointe de bande.
L’après-midi, je flânai à l’intérieur des murailles de la ville, me recueillis en l’église Notre-Dame, près le nouveau jardin des Doms, priai, implorai pour la énième fois la Vierge de Roc-Amadour, sillonnai la ville à l’intérieur de ses remparts souvent frappés par les crues du fleuve Rhône.
Deux miséreux, aux vêtements en lambeaux, aux pourpoints rapiécés, portant épée et dague dans un ceinturon écorné, m’interpellèrent devant l’entrée du pont Saint-Bénezat.
J’avais souci de rejoindre le fort Saint-André pour préparer mon départ, le lendemain, vers la citadelle de Carcassonne, et les priai de passer leur chemin.
« Messire chevalier, nous sommes de Gascogne et de Béarn et souhaiterions prendre service en qualité d’écuyers.
— Des Gascons ? Allez au Diable !
— De grâce, nous souhaitons servir le roi de France et non point le roi d’Angleterre, ainsi que le font nos pères. Faites-nous la grâce de nous ouïr ! Nous sommes démunis, nos bourses sont vides et n’avons plus aucun subside de nos familles. Nous savons le roi Jean en Avignon. Vous faites partie de sa suite et vous implorons de nous prendre à votre service. »
Ces deux gentilshommes avaient belle faconde. Ils me firent bonne impression. Charles de Secondat de Montesquiou et Bérenger de Batz de Castelmore traversèrent les rives du fleuve avec moi. Le soir même, je leur délivrai un acte sous seing privé aux termes duquel je m’engageai à les prendre à mon service pour une première durée d’un an.
Onfroi de Salignac, à qui je l’avais demandé, avait apprécié leurs talents de taille et d’estoc. Il en avait reçu d’ailleurs une légère navrure au bras. J’avais grand besoin de fidèles et me réjouissais de compter, en notre compagnie, des hommes valeureux et qui, me semblait-il, étaient féaux et s’avéraient être porteurs d’une recommandation du chevalier de Castelnau d’Auzan ! Ma bourse était flasque, ils le comprirent bien vite, et mis au courant, au cours d’une longue soirée, de mes inquiétudes, ils me déclarèrent se contenter de pot et de feu.
Bien leur en prit, sachant cependant qu’ils nous prouvèrent solide appétit, rustres manières et un goût immodéré pour le vin de Chateauneuf-du-Pape…
Deux jours plus tard, Onfroi de Salignac, Gui de la Mothe-Fénelon et Charles de Secondat, mon nouvel écuyer gascon, étions rendus dans les faubourgs de la citadelle de Carcassonne, près de la barbacane de la porte de l’Aude. Nous n’y vîmes ni Guilbaud, ni Eudes, ni Yves. Peu de chances qu’ils aient pris un bain glacé dans la rivière. Ils ne savaient point nager.
Nous nous dirigeâmes vers la porte Notre-Dame. Personne. En vérité, Guilbaud de Rouffignac s’était présenté la veille avec les écuyers aux portes du château comtal, fort d’appartenir à la Noble Maison du Roi.
Reçus par le sénéchal Jean de Grave, ils avaient pris leur quartier dans les appartements réservés aux familiers et aux hôtes de passage et se rôtissaient les pieds sur la margelle d’une cheminée !
Je n’eus point besoin de les presser de questions : ils me firent un compte rendu précis. Leur mission était remplie et toutes les dispositions seraient prises dans les jours suivants par les intéressés qui m’avaient remis des lettres de confort et une nouvelle bourse bien garnie. J’en brisai aussitôt le cachet de cire et poussai un profond soupir de soulagement : le plan que j’avais proposé au baron de Beynac et aux chevaliers de Montfort et de Lebestourac se mettait en place.
Ce furent, malgré tout, de bien tristes fêtes de Noël que nous passâmes en la citadelle de Carcassonne. J’avais prolongé le jeûne de l’Avent en m’infligeant pénitence au pain et à l’eau jusqu’aux fêtes de Noël. Sans effort. Je n’avais guère d’appétit.
Par un traité de l’an 1247, saint Louis avait rattaché la citadelle de Carcassonne au royaume de France, rattachement confirmé par le traité de Corbeil, en l’an 1258. Il fixait à cette occasion la frontière avec le royaume d’Aragon qui renonçait dès lors à ses prétentions sur les provinces de Languedoc.
Depuis lors, la Cité, placée sous le commandement d’un sénéchal, assurait une ligne de défense en arrière des postes avancés des châteaux de Peyrepertuse, Aguilar, Quéribus,
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