La lumière des parfaits

deuxième flèche, tirée d’il ne savait où, avait manqué sa cible. Elle avait cependant bien failli lui ôter la vie : son corps avait basculé sur le troussequin, sa jument avait pris le galop, il avait été projeté sur l’arçon arrière à deux doigts de heurter la croupe. À l’instant où il avait entrevu l’empennage blanc de la deuxième flèche siffler à quelques pouces de sa tête.
     
    Guy était de blonde chevelure, presque de la même taille que moi. Il portait un surcot à mes armes. Avait-on tenté de m’occire qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Ce qui signifiait que le tireur inconnu, si son intention était criminelle, ne me connaissait pas de visu. Pas encore. Et qu’il avait pris mon écuyer pour moi.
    « Croyez-vous, messire Bertrand, que l’on aurait tenté de me faire passer de vie à trépas ? Par Saint-Christophe, quelle maladresse !
    — Mais non, mon beau sire, bien sûr que non ! Un simple accident de chasse », tentai-je de le convaincre, d’une voix chevrotante.
    « Qui donc aurait pu attenter à ma vie ? Ou à la tienne ? Sur l’ordre de qui ? »
    Le ribaud avait parfaitement compris qu’il avait fait erreur et si, à mon avis, mon écuyer ne courait plus aucun risque, il n’en allait pas de même d’aucuns.
    Je devais rester à l’arme. En grande vigilance. Et essayer de tendre un piège à cet inconnu pour le confondre avant notre départ et lui faire cracher des aveux sur son ou ses commanditaires. Avant de le livrer à la justice comtale.
    Mon esprit galopait à brides avalées. Une tentative d’empoisonnement à la mandragore ou à quelque autre plante hallucinogène la veille, une tentative d’assassinat sur la personne de mon écuyer ce matin ! Trop, c’était trop, à la parfin !
    J’entrevis une idée sur la façon de m’y prendre. Elle germa plus vite qu’une graine de blé au printemps. J’aurais juste la patience d’attendre le banquet qui se tiendrait ce soir dans la salle des fêtes pour en arrêter l’écheveau.
     
    Avec l’aide d’un barbier, un mire arracha la flèche dont la pointe n’était fort heureusement point harponnée. Sinon, ils n’auraient pu l’extraire qu’en brisant la hampe et en poussant l’ensemble à travers les chairs pour la faire ressortir par l’omoplate. L’opération aurait été longue et risquée. De graves risques d’hémorragie. Et d’intolérables souffrances que le blessé aurait endurées.

    Les trompettes cornèrent l’eau après vêpres, appelant tous les convives au grand souper donné en l’honneur de ses hôtes par le comte d’Œttingen.
    « Mes beaux sires, mes gentes dames, damoiseaux et damoiselles, portons une santé aux armes des chevaliers de Montfort et de Born. Savez-vous que Bertrand Brachet de Born, ici présent, a été adoubé sur le champ de bataille près la forteresse de Commarque pour avoir magnifiquement repoussé un assaut des Godons à un contre dix ? Et j’ai ouï dire qu’il chantait des poèmes de sa composition. Qu’il était aussi un troubadour de talent, dans la lignée de l’un de ses aïeux, poète et guerrier d’illustre mémoire !
    — Santé à nos valeureux chevaliers et à leurs écuyers qui ont entrepris ce Grand voyage de la Croix pour rallier l’Ordre de Sainte-Marie des Teutoniques et convertir par l’épée et la foi les païens de Lituanie ! Longue vie à eux au nom du Christ !
    — Prenons force d’exemple et buvons à leurs exploits à venir », renchérit l’un des chevaliers de la place, pendant que je fredonnais une ballade qui traitait plus bas que terre le roi d’Angleterre. Il est des traditions qui ne se perdent pas, bonnes gens, quand on est d’Aquitaine ! Fort heureusement, personne ne m’entendit.
    Seule une personne tendit l’oreille et étudia attentivement les armes que j’arborais sur mon pourpoint. Montfort portait les siennes, échiqueté d’or et d’azur, au franc-canton d’argent au lion de gueules, et nos écuyers avaient respecté mes instructions : ils revêtaient les armes des barons de Beynac, burelé d’or et de gueules de dix pièces.
    « Mais n’oublions point nos voisins, le roi Jean de France, le duc de Lorraine, notre bien-aimé empereur du Saint Empire et notre abbé de Murbach, qui n’a pu honorer mon invitation pour se rendre à celle, plus pressante de l’évêque de Bâle, ou de Cologne, je ne sais !
     
    « Weidman’s heil ! Vive la chasse et ses trophées,