La lumière des parfaits
me souvins d’un détail qui m’avait intrigué, mais auquel je n’avais pas porté grande attention sur le coup. Ce détail avait-il un rapport avec le chilindre ?
Lorsque le grand maître m’avait prié de le décoiffer de son bacinet à mézail, le jour où notre charge s’était brisée dans l’eau et la glace, j’avais aperçu autour de son col un bijou bien curieux, suspendu à un fin lacet de cuir. Un bijou triangulaire à pans et contre pans surmonté d’une croix. Peut-être en or. Il l’avait rapidement dissimulé dans sa chainse sans avoir surpris, m’avait-il semblé, le bref coup œil que j’avais jeté sur son étrange forme : huit pans et huit contre pans…
Ce bijou représentait la forme stylisée d’une couronne comtale inversée et coiffée de huit perles. Un symbole de la noble lignée de Winrich von Kniprode ?
Pourquoi, dans ce cas, la couronne était-elle inversée ? Pourquoi huit petites boules à chaque extrémité ? Huit perles comme les huit extrémités de la croix pattée des Ordres du Temple, de l’Hôpital et des Teutoniques !
N’aurais-je pas plutôt entrevu la clef qui rouillait la mécanique d’ouverture et de fermeture du chilindre de cuivre et de plomb, serti d’or et d’argent ?
En toutes polices et gouvernement de fait d’armes, dès le commencement des guerres en ce monde, quatre vertus morales sont nécessaires. À savoir Règle, Discipline de chevalerie, Obédience et Justice.
Extrait de l’Espitre lamentable et consolatoire sur le fait de la desconfiture du noble et vaillant roy de Hongrie par les Turcs devant la ville de Nicopoli en l’empire de Boulguerie, par Philippe de Mézières.
Chapitre 5
À Marienburg, du mois de janvier entre les ide et les nones de mars , avant l’embarquement à Dantzig pour le port de La Rochelle, en l’an de grâce MCCCLIIII {6} .
Il m’était interdit de prendre la moindre copie des lectures que je ferais en la librairie, m’avait averti le grand maître. Un interdit fulminé par un prince d’empire. Et non un interdit dicté par la Règle de l’Ordre. Or donc, ma curiosité poussée à son paroxysme, j’étais bien décidé à respecter la Règle. C’est-à-dire à enfreindre l’inviction de son maître, et à copier a volo , tel un moine convers, tout ce qui me semblerait le mériter.
Las, je ne disposais ni de plume, ni d’encre, ni de gomme arabique, ni d’autres parchemins que ceux que d’obscurs scriptorae avaient déjà écrits, grattés et biffés avant moi.
Une seule personne disposait de ces précieux instruments : Frère Ludwig, dans une écritoire qu’il refermait à clef, dès qu’il avait consigné les ouvrages ou documents qui lui étaient glissés par la trappe.
Mais la clef restait cependant sur le verrou. Preuve d’une étonnante négligence ou d’une grande confiance vis-à-vis d’un étranger. Mais l’étranger n’était pas, il est vrai, n’importe qui : il était recommandé par le Hochmeister. Alors, une petite négligence ne prêterait pas à conséquences… D’autant plus qu’il ne me quittait guère des yeux.
Gardien du temple de l’Ordre teutonique, le brave frère Ludwig était normalement dispensé des offices. En ma présence, il jouit d’une dérogation spéciale et fut autorisé à se rendre aux offices de complies, à la 21 e heure de la journée et à matines, à la 3 e heure de la nuit. Chaque office durait une heure.
Deux ou trois jours plus tard, alors que j’étais plongé dans des traités de navigation qui ne m’apprirent rien de nouveau, si ce n’était comment calculer un azimut par la visée de deux points, le frère-libraire voulut ranger un codex et l’intercaler entre d’autres, sur l’une des étagères supérieures de la coursive à laquelle il accédait par une échelle murale et coulissante.
Comme il déplaçait d’autres ouvrages, par une maladresse tout-à-fait inhabituelle de sa part, plusieurs codex churent en s’éventrant avec fracas sur le parquet, à deux pas de mon lutrin. Je sursautai et levai les yeux.
Pendant qu’il descendait l’échelle, j’entrevis, dans l’espace ainsi libéré, la petite porte d’une sorte de tabernacle en bois d’ébène. Un coffre discrètement dissimulé et scellé dans le mur. Muni d’une serrure.
Mais mon cœur fît un bond dans ma poitrine lorsque je vis l’un des codex à ais de bois qui gisaient sur le sol à deux pas de mes pieds : une
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