La malediction de la galigai
général appela Pichon, qui confirma ces paroles, puis Sociendo qui se montra tout aussi affirmatif, précisant que Broussel et Joly étaient de mèche.
Aux yeux du procureur, ces témoignages semblaient suffisants pour assigner Beaufort et Gondi à être ouïs, première étape avant la prise de corps et l'emprisonnement. Un débat s'éleva pourtant entre les trois magistrats du parquet, à savoir le procureur et les deux avocats du roi. La règle, nous l'avons dit, était qu'ils prennent leur décision à l'unanimité. Or, les deux avocats généraux soutinrent que les charges étaient insuffisantes pour motiver un tel affront à des personnes de cette qualité. Pourtant, malgré le fait que le parquet soit majoritairement contre l'arrestation des prévenus, le procureur général s'y opposa, arguant que sa décision, volonté royale, s'imposait.
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à midi, Paul de Gondi fut informé de la décision du procureur général, Blaise Mélian, prise avec l'accord du premier président. Or, depuis quelques jours, le coadjuteur et le duc de Beaufort se persuadaient que les poursuites allaient cesser puisqu'on n'avait rien découvert contre eux. C'est dire s'ils ne s'attendaient pas à cette accusation ni à ses conséquences. Ils se virent soudain perdus ; d'autant que la rumeur circulait en ville que la Cour avait ordonné leur arrestation.
Immédiatement Gondi rassembla ses partisans. Venus dîner chez lui, Beaufort, Brissac, Noirmoutier, Fontrailles et Montrésor voulaient rassembler des troupes et se préparer à la guerre. Prudent, le coadjuteur s'y opposa, arguant qu'agir ainsi revenait à reconnaître leur culpabilité avant même d'être officiellement accusés. De plus, ajouta-t-il, le peuple revient à nous et si nous manquions notre coup, nous serions définitivement perdus. Il annonça avoir décidé plutôt de se rendre au Palais de Justice comme un simple aumônier et proposa au duc de Beaufort de l'accompagner, escorté seulement d'un écuyer. Tous deux prendraient leur place expliquant venir porter leurs têtes au Parlement pour être punis s'ils étaient jugés coupables mais aussi demander justice contre les calomniateurs si on les découvrait innocents.
Cette suggestion emporta la décision des autres. Et pour cause : Gondi et le duc prendraient seuls les risques !
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C'est Gaston de Tilly qui avertit Louis de la mise en cause du coadjuteur par Canto, Pichon Sociendo et de la décision du procureur général. Le chancelier Séguier, fort embarrassé, lui avait remis la déposition des trois hommes. Elle était précise, inspirait confiance, même s'ils avaient reconnu être des espions à brevet de Le Tellier.
Les deux amis décidèrent alors de passer outre aux menaces de Mazarin et de ne pas laisser commettre l'injustice qui se préparait. Dans la soirée, ils se rendirent chez l'avocat général Jérôme Bignon domicilié au cloître des Bernardins.
Gaston connaissait et estimait Bignon, l'un des magistrats les plus respectés du Palais pour avoir notamment publié son premier ouvrage de droit à dix ans et avoir été élevé comme enfant d'honneur auprès de Louis XIII. Depuis 1626, il était avocat général au parlement de Paris et certainement l'un des plus savants juristes du royaume.
Ce soir-là , Jérôme Bignon n'avait aucune envie d'une visite. C'était un homme âgé et sa querelle avec le procureur général l'avait épuisé, mais Fronsac et Tilly bénéficiaient d'une telle réputation qu'il les reçut dans sa chambre.
â Monsieur l'avocat général, débuta Louis après les salutations d'usage, nous sommes, ou plutôt nous avons été, des amis très proches de monsieur le coadjuteur. Nous savons qu'il est innocent.
â Vous savez ? releva Bignon avec surprise.
â Oui, monsieur, tout simplement car nous connaissons les coupables. Mais nous ne pourrons témoigner.
â Pourquoi ?
â Cela nous est interdit.
L'avocat général les considéra avec encore plus d'attention. Qui pouvait empêcher de tels hommes de témoigner ? Fronsac ne dépendait de personne, même si on le savait proche de Mazarin. Quant à Tilly, il était le protégé du chancelier à qui
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