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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Érik Emptaz
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nous activons à essayer de façonner une voile ; enfin, un bout de toile suffisamment grand et solide pour prendre le vent et propulser notre lourde et informe embarcation. Pendant ce temps, des soldats, épaulés par le gros Museux, s’efforcent avec un bout d’aviron et du cordage goudronné de dresser un semblant de mât. L’objet a piètre apparence avec ses trois morceaux ficelés entre eux. Notre toile, qui commence à prendre tournure, n’a pas l’air non plus de sortir des ateliers des meilleurs maîtres voiliers. Nous cousons avec un couteau et des brins de cette foutue bouline, unique et fatidique cordage dont je sache l’usage et le nom. Je ne me suis jamais livré à pareil exercice, mais j’y vais de bon cœur. Il est près de 7 heures quand nous hissons le pan de toile brune et rapiécée au mât de guingois. Museux, d’un solide coup d’épaule le redresse. Deux marins aidés par un fantassin bordent notre voile en s’arc-boutant sur la drisse que nous avons tressée. Tout le radeau retient son souffle. Miracle ! Le mât résiste !
    Et quand la brise, avec un claquement sourd, arrondit la toile rapiécée qui résiste elle aussi, c’est une acclamation générale qui nous salue. Nous ne prenons pas de vitesse pour autant, mais ce morceau de voilure nous donne une manière de contenance, l’impression, alors que le jour baisse, de maîtriser notre errance.
    Si la voile prend bien le vent, difficile de savoir où il nous mène. Plus question de nous repérer grâce à La Méduse échouée car sa silhouette malgré tout rassurante a maintenant disparu de notre champ de vision. Plus rien à l’horizon… « Laressingle, oui c’est ça, Laressingle, c’est son nom. Ça y est, je m’en souviens, un charpentier…» Corréard qui depuis un moment semblait s’être assoupi après l’effort et avait cessé de menacer du pilori le commandant, le gouverneur et une bonne partie de l’état-major, se fraie un passage jusqu’à moi en répétant ce nom : « Laressingle, il faut que je lui parle… Il a une boussole, je l’avais remarqué, quand on construisait le radeau, il possède une boussole de poche. Il faut le trouver ! » D’un bond, le voilà sur la caisse à mes côtés, les mains en porte-voix : « Laressingle, charpentier Laressingle, si tu es à bord, lève la main !
    — Ouais, l’ingénieur ! J’suis dans l’même bain que toi, qu’est-ce qu’il y a t’y pour ton service ?
    — Approche ! »
    Fendant la masse qui s’écarte tant bien que mal pour le laisser passer, Laressingle, un homme au ventre proéminent et au crâne largement dégarni a compris : « Ça s’rait t’y pas à ma boussole que vous en auriez ? » Il la tend à Corréard qui me la passe avec précaution. Je transmets à mon tour la précieuse petite boîte de bois dur à Dupont. Tout ne va pas si mal : nous avons dressé un mât, confectionné une voile, et même trouvé une boussole pour nous diriger. « Aide-toi, le ciel t’aidera. » Pourtant au-dessus de nos têtes hirsutes, le ciel d’un gris jaune menaçant n’a pas l’air au courant.

CHAPITRE XVI
    « Septante-deux… à toi le gobelet, matelot ! » Déjà presque deux jours et une nuit que nous dérivons. J’ai fait procéder à une distribution de biscuits et de vin. Le caporal Museux, d’un coup de crosse bien appliqué, a débondé une de nos barriques. Le solide soldat remplit régulièrement un seau dans lequel deux marins dont l’un, à en juger par la couleur de sa trogne, a dû goûter de robuste manière le pichtegorne qu’il sert, emplissent à leur tour les quarts et les timbales. En dépit d’une mer assez formée, les récipients circulent sans trop se renverser. La tempête que nous avons redoutée tout au long de cette première nuit durant laquelle nous avons évidemment plus veillé que dormi, paraît toujours près de surgir. Le lieutenant Dupont, lui, assure l’appel. Nous avons attribué à chacun un numéro, cela évite que les mêmes soient servis plusieurs fois et nous permet aussi de nous compter. Quelques soldats butés ont oublié leur numéro ou donné celui d’un compère. J’en ai attribué 147 en tout. Peut-être sommes-nous plus nombreux, mais la mêlée est si compacte que je ne peux l’assurer. Et puis, que nous soyons cinq de plus ou de moins ne change pas grand-chose à cette distribution qui a moins pour objet de sustenter les corps que d’occuper les esprits.
    Nous

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