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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Érik Emptaz
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d’être jetés aux poissons, soit des poltrons qui refusent de se retrouver sur le radeau. Mais il y a aussi des retardataires qui n’avaient pas respecté leur affectation et que Chaumareys n’a pas attendus. À ceux-là, il veut donner une dernière chance : « Monsieur Rang !
    Qu’on se porte à hauteur de la chaloupe et qu’on la renvoie au bateau chercher ceux qui souhaitent évacuer ! » En lançant l’ordre, Chaumareys remonte d’un cran dans sa propre estime. Il se prend à nouveau pour un capitaine au long cours, et au grand cœur.
    *
    La bouline disparaît sous l’eau puis en ressort tendue à craquer, donnant des à-coups à tout le radeau. Je dis « bouline » parce que je ne connais ce mot que depuis quelques minutes. C’est ainsi que les marins nomment le cordage qui sert d’ordinaire à maintenir les voiles de biais pour leur faire prendre le vent de côté et que le grand canot utilise comme amarre pour nous remorquer. Ce n’est pas que j’aie soudain pris goût aux choses de la navigation, mais un matelot m’a demandé de l’aider à « tirer sur la bouline » que j’avais prise pour une haussière. Nous sommes toujours debout, serrés, trempés mais, après l’appréhension du départ, les langues se sont déliées. Nous partageons la conviction que nous serons à bon port ce soir ou demain au plus tard. Entre les canots qui nous remorquent et la grosse chaloupe qui, passant à notre hauteur, nous a salués au porte-voix et à qui nous avons répondu par une joyeuse clameur, l’ambiance est à l’optimisme général. J’ai réussi pour ma part à me jucher sur une caisse. J’y suis presque au sec. La mer est moins forte, nous n’avançons cependant ni très vite, ni très droit, mais tout le monde veut y croire. Moi, j’y crois.
    *
    Madame Schmaltz a ses céphalées. En dépit de son chapeau et des nuages, elle tient le soleil pour premier responsable de ses maux. Les à-coups incessants du grand canot lui endolorissent la nuque et le claquement de la voile résonne à ses tympans. Emmitouflée dans une longue cape parme, l’épouse du gouverneur du Sénégal est d’humeur geignarde. D’un ton qui rappelle à son mari celui de la poularde en couvaison, elle s’enquiert : « Quand serons-nous à Saint-Louis ? J’ai l’impression que malgré nos avirons et le vent, nous n’avançons guère.
    — Vous n’avez pas tort, mon amie, nous sommes trop lourds et le jusant nous tire vers le large… Voilà qu’en plus ce petit lieutenant qui mène la chaloupe voulait encore nous donner des passagers en surnombre. Comme si nous n’étions point déjà assez handicapés par ce radeau plein de soldats qui est pis pour nous qu’un boulet de forçat…»
    Les deux voiles sont bordées et les 14 avirons plongent en cadence dans le flot, mais les rameurs ont l’impression que leurs efforts sont vains. La lutte avec les courants est inégale. Le canot major qui remorque le grand canot du gouverneur, lequel traîne à son tour le radeau, est lui aussi à la peine. Malgré le vent favorable qui pousse à la côte, la marée prend le dessus et tire vers le large.

CHAPITRE XV
    Hugues de Chaumareys aimerait comprendre. Il a beau avoir l’esprit quelque peu embrouillé à propos des marées et des courants, il se rend bien compte qu’il se passe quelque chose d’anormal. Son canot était en tête du convoi. Dans l’ordre, il était suivi du canot du Sénégal, puis du canot major. Et enfin, derrière eux le grand canot du gouverneur remorquait le radeau. Non arrimées au convoi, la petite yole et la grosse chaloupe étaient chargées, quant à elles, d’assurer les communications d’une embarcation à l’autre. Or voilà que le grand canot où sont installés Schmaltz, sa famille, ses amis et domestiques qui était en quatrième position se retrouve en train de les dépasser. Et surtout… le radeau n’est plus derrière lui !
    Pourquoi ce soudain renversement de situation dans le convoi ? Où est passé le radeau ? Pourquoi ne l’informe-t-on pas ? L’enseigne de vaisseau debout à l’avant du canot sait sûrement de quoi il retourne et Chaumareys le questionne non sans inquiétude :
    « Quelle est cette manœuvre ?
    — Je crois que la remorque a rompu, Monsieur !
    — Quelle remorque ?
    — Celle du radeau, Monsieur !
    — Euh… eh bien allons au plus tôt la reprendre ! Mais demandez au canot du gouverneur ce qu’ils font… Schmaltz a

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