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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Érik Emptaz
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l’amuser. Il ne porte pas le gouverneur dans son cœur, d’autant que ce dernier vient de lui donner l’ordre d’appareiller avec L’Écho pour le Cap-Vert. C’est dans cette presqu’île que Schmaltz entend, avec tous les navires de l’expédition et les hommes valides, patienter jusqu’à la restitution de nos établissements du Sénégal. Ainsi que de Gorée, de la Gambie, du Galam, de Portendick, Rufisque, Joal, Albreda, Portudal, de ce foutu banc d’Arguin, et de Saint-Louis dont il va finir par devenir la risée si Brereton continue ainsi à le faire mariner.
    Vénoncourt n’a rien contre le Cap-Vert qu’il ne connaît pas et dont Schmaltz, sans en savoir plus, lui a vanté les bienfaits. Mais quitter la ville signifie aussi laisser Deborah Wolseley auprès de laquelle il goûte, comme c’est le cas en ce moment, d’agréables moments d’égarement et de répit. Il aime la prendre dans ce grand lit de cuivre. Une couche confortable et conjugale dans l’une des belles maisons de Saint-Louis. Deborah Ann Wolseley est l’épouse de Hamilton Wolseley, négociant de gomme anglais qui s’intéresse plus aux hévéas et, dit-on en ville, aux jeunes porteurs indigènes qu’à elle. Deborah, après en avoir pris son parti, a fini par en prendre ombrage. Et Vénoncourt pour amant. Cela aurait pu n’être qu’un de ces adultères moites des tropiques comme en vivent tant d’hommes et de femmes de Saint-Louis. De ces coucheries où, passé le bref frisson de la transgression, l’aventure confine vite à la routine. Mais ils n’en sont pas là. Elle aime chez l’officier de marine ce mélange de calme et de rugosité, d’attention et de désinvolture. Cette soif de vivre l’instant des gens de passage. Mais aussi sa sérénité rassurante dans la tourmente. Du moins l’imagine-t-elle car, à part le risque modéré d’être surprise au lit en sa compagnie, elle n’a bravé avec lui aucun danger considérable.
    Lui est ému par sa beauté à la fois altière et naturelle. Ses cheveux d’un roux très foncé, son beau visage fin et racé, ses yeux sombres aux cils majestueux, la tristesse qui leur sied volontiers, comme la joie simple qui peut les irradier. C’est le cas alors qu’elle joue, pour l’agacer, à poursuivre une conversation parfaitement anodine tandis qu’il la culbute comme une gourgandine. Les chevilles en appui sur les épaules de son amant qui s’active, elle s’efforce de poursuivre dans cette position son récit comme une conversation de salon : « Ceux-là sont arrivés par le désert et ne doivent la vie qu’à…» Les grincements du sommier scandent en rythme son récit : «… des Maures qui ont eu pitié de… leur sort…» Masquant mal un ton soudain rauque et haletant, elle en est à : « Ceux qui ont connu un sort bien plus terrible encore… Ces malheureux qui par dizaines auraient péri sur un radeau abandonné dont personne n’a retrouvé la trace…», quand le plaisir la saisit.
    Sous les draps en désordre, le commandant de L’Écho dans son vague à l’âme post coitum a une pensée pour les malheureux de ce radeau. Il aimerait en savoir plus sur cette histoire. Des rescapés du désert l’ont évoquée, mais quand il en a parlé à Schmaltz et à ce Chaumareys qui commandait La Méduse , l’un et l’autre ont sèchement éludé le sujet. « Billevesées que tout cela », a coupé court le gouverneur. Quant à Chaumareys, il s’est également montré agacé : « Des ragots d’entrepont, des balivernes de matelot, mon ami. Il y a bien eu un radeau, mais c’était pour le fret. Seuls quelques volontaires y ont embarqué. La tempête leur a été fatale mais dans les chaloupes aussi, nous avons perdu des gens. Paix à leur âme, braves soldats ! » Vénoncourt, en posant un baiser sur la nuque douce de Deborah, se promet, pour en avoir le cœur net, d’en parler avec des officiers de La Méduse. De toute façon, il en saura plus quand L’Argus, commandé par son ami Poinsignon, rejoindra à son tour le Cap-Vert. Le brick, parti récupérer sur l’épave de La Méduse l’argent de l’expédition qui n’avait pu être chargé à bord des canots, aura sûrement des nouvelles.
    *
    Cet argent resté sur La Méduse, Schmaltz en a besoin. Dans son idée de s’installer provisoirement sur la presqu’île du Cap-Vert, il envisage, pour loger tout le monde, de louer des maisons sises au cap Bernard. L’endroit est, dit-on, bien

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