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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Érik Emptaz
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abrité. C’est ce que lui a confirmé l’abbé de Saint-Louis, un nommé Charbonnier rencontré chez le négociant Duplantin lors de l’arrivée des rescapés du désert. L’ecclésiastique, qui fait aussi office de notaire et de greffier, dit connaître un propriétaire possédant plusieurs grandes maisons et a proposé sa « sainte entremise » pour la transaction. Schmaltz a rendez-vous avec lui chez le propriétaire. Ce dernier, un certain Mortain originaire de Nantes, est un petit homme d’une cinquantaine d’années. Il habite une vaste maison jaune à l’intérieur de laquelle l’épaisseur des murs et les volets de bois parviennent à maintenir une relative fraîcheur, c’est-à-dire une moiteur supportable. « Je pense que nous allons pouvoir trouver un arrangement très raisonnable. Il y a quatre bâtiments, vous ne paierez le loyer que de deux seulement. Mon régisseur est prévenu et recevra vos gens afin d’établir tous les documents… » Le crâne dégarni, Eugène Mortain transpire beaucoup dans sa chemise de coutil clair en sirotant de la limonade servie par une jeune négresse. L’abbé acquiesce et fait un signe d’assentiment à Schmaltz qui s’en remet volontiers à lui. Un homme d’Église ne saurait abuser de sa confiance et ce Mortain serait peu inspiré de lui faire tort puisqu’il sera bientôt sous son autorité.
    Schmaltz manifeste ainsi une certaine naïveté, mais il n’est pas non plus trop volé. Mortain lui loue en guise de maison des locaux qui, jusqu’à la très récente application effective de l’interdiction de la traite par les Anglais, lui servaient à entasser ses esclaves avant expédition. Le négociant d’ailleurs n’a pas perdu tout espoir de s’en resservir quand les Anglais seront repartis. Ceux-là, Mortain les maudit comme Schmaltz, mais pas pour les mêmes raisons. Voilà huit ans qu’ils ont décrété l’interdiction de la traite des esclaves. Il a certes fallu du temps entre le décret et l’application. Las ! avec ce traité de Vienne signé l’année dernière, il sent bien que son activité dans ces contrées tire sur sa fin. Toutefois, la France n’a toujours pas ratifié le traité, ce qui donne à Mortain quelques raisons d’espérer. En 1794, alors que la Convention avait sans ambages aboli l’esclavage et qu’un esclave nègre né à Gorée avait été appelé à siéger à Paris comme représentant de Saint-Domingue, son père Edmond avait poursuivi tranquillement les affaires. Et quand en 1802 Eugène a repris les rênes de la maison Mortain, l’activité familiale, sans jamais avoir cessé, était autorisée de nouveau par Napoléon. En rentrant de l’île d’Elbe l’an dernier, le même a rétabli l’interdiction de la vente et la traite dans les colonies françaises. Mais aujourd’hui, il est à Sainte-Hélène et les Anglais sont sur le départ. Si Louis XVIII finit par signer le traité de Vienne, Mortain se dit qu’il sera toujours temps, après avoir encaissé les loyers, d’aller voir du côté du Mexique ou des possessions des Pays-Bas où l’on est moins regardant.
    Traite ou pas traite, l’abbé Charbonnier perçoit quant à lui près de la moitié du prix du loyer qui, sans être exorbitant, reste assez cher pour des locaux très délabrés. Comme le négociant, l’abbé est avide d’engranger tout ce qu’il peut avant d’être contraint, un jour qu’il sent prochain, d’aller se faire pendre ailleurs. Quant à Schmaltz, en attendant que la France en sa personne puisse faire valoir ses droits, il est assuré avec ces maisons de pouvoir caser sur la terre ferme les passagers de L’Écho, ceux de La Loire et de L’Argus, au plus vite et sans ruiner Sa Majesté.

CHAPITRE XXVI
    Les larmes submergent mes paupières brûlées, le brick est là, devant moi. L’Argus  ! Son nom est gravé en grandes lettres dorées à la proue de la coque sombre qui fait de l’ombre au radeau. J’entends les craquements du cabestan, la toile des voiles que l’on cargue et les cris d’encouragement que nous lancent les hommes au bastingage. Je suis incapable de parler, je pleure. Museux, Corréard, Dupont… mes compagnons d’infortune ne parviennent pas non plus à retenir leurs larmes. Nous sommes submergés d’émotion. Corréard s’affaisse sur moi, je le retiens, nous nous étreignons. Ses bras n’ont plus de peau, sa barbe sent la charogne. Je vois le canot que les hommes de L’Argus viennent de

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