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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Érik Emptaz
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l’on craint une issue fatale pour deux d’entre eux. Il est près de 5 heures et demie, un fumet de volaille rôtie envahit lentement les coursives de L’Argus. L’odeur est appétissante mais sans le formuler Lemaigre et Parnajon sont pris du même dégoût. L’un repense aux lambeaux de chair, l’autre à la froide description que son subordonné vient de lui en faire.
    *
    J’ai la gorge comme de la toile d’émeri et une soif inextinguible. J’ai dormi d’un sommeil pesant et douloureux, peuplé de mauvais rêves. J’étais encore sur le radeau et L’Argus avait disparu. J’ai très mal au dos. Il fait sombre, je me sens coincé dans une espèce de toile dont j’ai grand mal à m’extraire. « Du calme mon collègue ! Tu vas te rompre les os ! » L’accent est du Sud-Ouest, mais la voix ne me dit rien. Ça sent la soupe : « Sénéchal, médecin à bord de L’Argus, bois, c’est du bouillon, va doucement ! » On m’aide à porter un quart de métal à mes lèvres. Je bois trop vite, le liquide tiède ruisselle sur mon cou. Il me faut du temps pour comprendre que je suis dans un hamac, que l’homme qui me parle est celui qui nous a examinés quand nous avons été recueillis. Il m’appelle collègue parce que je lui ai dit que j’étais chirurgien : « J’ai dormi longtemps ?
    — Une quinzaine d’heures, pas plus, nous sommes à l’ancre devant Saint-Louis ! »
    Par bribes, les souvenirs me reviennent : le radeau, le brick, le canot, la liesse à notre arrivée, la joie des hommes à bord, trop de bruit, les officiers, le commandant… Dorangeon ? Baranjon ? Un nom en jon… trop de questions… J’ai mal à la tête, je sens une plaie sur le côté de mon front.
    Il m’aide à m’extraire du hamac. « Tu as perdu connaissance, tu es tombé… Ce n’est rien, juste une écorchure. Accroche-toi à moi et voyons si tu tiens debout ! » En me soutenant, il me guide dans la pénombre de la batterie jusqu’à l’échelle qui conduit au pont principal. La lumière blanche du ciel africain à la mauvaise saison m’agresse et m’éblouit un instant. Voir Saint-Louis et la terre du haut d’un bastingage au lieu de la mer sans fin et d’un ciel vide au ras des flots m’apparaît comme un pur enchantement.
    Il y a beaucoup de monde sur le pont. Des officiers, des matelots, le commandant est là aussi. Un homme me regarde en souriant. Son visage rouge me dit quelque chose, sans doute l’ai-je croisé à Rochefort : son front a le teint de la brique et son menton est entaillé de plusieurs coupures. Il est vêtu d’une vareuse de marin trop grande pour lui. En remarquant les bandages qui recouvrent ses avant-bras, j’éclate d’un grand rire, c’est lui. C’est Corréard sans barbe. « Avoue que tu ne m’avais pas reconnu, salopard ! » Je me passe instinctivement la main sur le menton, ma barbe est toujours là. J’en suis rasséréné. Je ne sais pas pourquoi, mais la tailler maintenant, ce serait m’amputer.
    *
    «  Monsieur, je me réjouis du sauvetage des quinze du radeau pour qui je fais immédiatement affréter une embarcation appropriée afin de les conduire au plus vite à Saint-Louis. Voici par retour du canot quelques victuailles susceptibles de leur donner des forces pour patienter.
    Bien à vous.
    Le Commandant pour le roi et administrateur du Sénégal et dépendances.
    Julien D. Schmaltz »
    Six poulets, une caisse de son meilleur vin, une autre de biscuits et du pain… Schmaltz a remis à l’officier de L’Argus venu lui annoncer l’arrivée des rescapés devant Saint-Louis, ces vivres et cette courte missive adressée à Parnajon le commandant du brick. Schmaltz est évidemment moins « réjoui » qu’il ne l’écrit, mais il peut difficilement laisser transparaître l’inquiétude diffuse qui l’assaille. L’incroyable nouvelle est arrivée très vite à l’oreille des Anglais. Elle se répand déjà dans la ville. Du coup, Schmaltz qui n’est guère expansif, en rajoute dans la joie qu’il affiche face à ce « miracle ». Il répète ce que lui a dit l’officier de L’Argus  : « Le brick faisait son dernier passage quand il les a trouvés, c’était inespéré ! » Imprévu serait, dans son cas, un mot plus approprié. Car en envoyant Parnajon sur l’épave de La Méduse , Schmaltz n’imaginait pas un instant que le commandant de L’Argus croiserait le radeau. S’il lui avait fait longer la côte dans

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