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La Malédiction de la Méduse

La Malédiction de la Méduse

Titel: La Malédiction de la Méduse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Érik Emptaz
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l’espoir de repérer les rescapés ayant choisi la voie du désert, le radeau était pour lui une affaire regrettable certes, mais classée. L’arrivée imminente de ces quinze survivants sur les cent quarante-sept hommes embarqués n’est pas pour simplifier ses affaires déjà bien compliquées.
    *
    Je suis fasciné par l’efficacité des pagayeurs qui nous amènent vers le port pour être conduits à l’hôpital de Saint-Louis. Notre embarcation est une sorte de longue pinasse à la proue très pointue. Je n’en avais jamais vu de telles auparavant. Ce bateau local, du même bois dur et foncé que les pirogues, fend le flot avec la précision d’une lame. Un nommé Kikou, homme à la peau très noire et à la musculature d’une grande robustesse le dirige. Il parle un peu l’anglais et le français et il est très expert en navigation. Nous avons franchi sans la moindre difficulté la longue vague pourtant réputée rétive qui barre l’entrée du chenal. Nos accompagnateurs nous ont installés du mieux possible et sont très prévenants. Je me demande si ces très civilisés « sauvages » savent qu’ils transportent des blancs anthropophages.

CHAPITRE XXVII
    « Messieurs, ma voix s’étrangle pour vous dire l’émotion de retrouver en vous des compagnons dont nous avions déjà pleuré la perte, des hommes courageux que la mer nous avait pris et qu’elle nous a rendus. Vous avez souffert, certes. Plus de cent trente hommes de ce radeau n’ont pas survécu à cette horrible épreuve, mais sachez que, comme nous qui représentons sur cette terre d’Afrique Sa Majesté le roi de France, ils seraient… fiers de vous. » Plus il parle, plus Schmaltz reprend confiance. Il sent qu’il pourrait tenir des heures cet auditoire de grabataires qui l’observent de leurs yeux chassieux. Une odeur d’éther et de pieds flotte dans cet hôpital des Anglais. Un bien grand mot pour des bâtiments aux murs jaunasses tout bouffés des moisissures noires de la saison humide. Lits de fer à la peinture blanche écaillée, paillasses très rudimentaires et infirmiers indigènes. Le gouverneur était déjà ici voilà quelques jours, avec le même aréopage d’officiers, pour servir aux rescapés de La Méduse venus par le désert un discours à peu près similaire. Mais s’il en rajoute aujourd’hui dans les envolées, c’est que les rescapés du radeau, comparés à ceux du désert dont certains restent encore alités dans un dortoir contigu, sont dans un état bien plus pitoyable. Un état dont il craint d’être rendu responsable. Alors il chantourne ses mots, il glose et s’en gargarise avec de plus en plus d’emphase. Il lui faut s’assurer que ces hommes revenus de l’enfer ne vont pas lui reprocher l’abandon du radeau. Ne pas leur laisser le temps de parler : flagornerie à volonté !
    Schmaltz tire de sa poche la liste des noms qu’a établie pour lui Parnajon et il poursuit : « Oui vous, lieutenant Dupont, oui vous ingénieur Corréard, vous, aide chirurgien Savigny, sous-lieutenant Lozach, matelot Coste… Vous qui au-delà de vos grades et de vos fonctions avez par votre ténacité bravé la mort, et tenu bon… Sachez que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que votre séjour en ces murs vous fasse promptement oublier les souffrances que vous avez endurées… Ne dites rien, c’est moi qui vous dis merci. Merci d’être parmi nous, merci d’être en vie ! » Et si cela ne suffit pas, il sera toujours temps d’user d’autres arguments. De rappeler à ces survivants les actes auxquels ils se sont livrés pour survivre. Il connaît à la virgule près la description brève mais éloquente du rapport du commandant de L’Argus  : « Ceux que j’ai sauvés s’étaient nourris de chair humaine depuis plusieurs jours et, au moment où je les ai trouvés, les cordes qui servaient d’étais étaient pleines de morceaux de cette viande qu’ils avaient mis à sécher. » S’il le faut, il saura s’en servir.
    Au premier rang, Chaumareys, à qui la touffeur africaine donne le teint d’une aubergine en cours de mûrissement, hoche du chef ostensiblement. Lui aussi a quelques raisons de redouter la réaction des quinze rescapés. Mais ils sont dans une telle faiblesse et un tel égarement, qu’ils ont d’autres priorités que celle de trouver des responsables à leur malheur. Et quand bien même pareille idée leur viendrait, Chaumareys sait comme Schmaltz qu’il

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