La malédiction des templiers
l’impression que c’était leur peau elle-même qui avait été plaquée sur la paroi.
Abdülkerim s’arrêta à l’extrémité de la nef, près de l’abside. Tess découvrit alors que l’obscurité l’avait empêchée de voir que la nef débouchait en fait sur trois absides, et non une seule. A côté de l’une d’elles s’ouvrait une porte, au-delà de laquelle la jeune femme put entrevoir un couloir.
De sa lampe torche, le spécialiste de Byzance éclaira une fresque sur la voûte en berceau d’une des absides. C’était une œuvre d’une grande richesse de détails, finement réalisée, où dominaient des teintes pastel à base d’ocre rouge et de vert. Elle était parfaitement intacte. Et elle représentait un homme, à pied, engagé dans un combat contre quatre guerriers. Il ne portait ni heaume ni cotte de mailles, et n’avait pas de cheval. Derrière lui, l’auteur de la fresque avait peint plusieurs villageois cachés dans des embrasures sombres taillées dans une paroi rocheuse.
Avec leurs turbans et leurs cimeterres, les quatre guerriers étaient de toute évidence des musulmans. Le personnage qui se mesurait à eux les affrontait avec une épée à double tranchant, qu’il tenait dans sa main droite. Son bras gauche était levé haut, en signe de défi.
Tess s’approcha pour mieux voir.
La main gauche du personnage était absente, et cela n’était pas dû à quelque écaillure de la peinture. Elle n’avait tout bonnement pas été représentée.
Un texte figurait sur la fresque. Il était écrit en grec, en lettres onciales grasses. Elle s’apprêta à essayer de le traduire, en faisant appel à sa connaissance de cette langue, même si elle n’avait pas eu à y recourir depuis des lustres, mais Abdülkerim lui épargna cette peine :
— « La seule vraie main décharge son courroux sur les pillards païens »…
Tess regarda l’Iranien. Si celui-ci attendait la suite avec impatience, il n’en laissait rien paraître. Elle se retourna alors vers la fresque. Une autre inscription, en caractères plus petits, courait au-dessus et à droite des personnages en train de s’affronter.
— Et que dit celle-ci ? interrogea-t-elle.
— « Quant à la douleur, comme une main coupée au combat, considère ton corps comme une robe que tu portes. Les actes inquiets, héroïques, d’un homme et d’une femme sont nobles pour le drapier, là où les derviches savourent la brise légère de l’esprit. » C’est tiré d’un poème. Un poème soufi, écrit par le grand Rumi en personne.
Tess en resta bouche bée.
— Un poème soufi. Ici ? Ecrit en grec ?
Le spécialiste de Byzance hocha la tête.
— Cela ne se voit pas fréquemment, mais ce n’est pas si surprenant. Rumi vit et meurt à Konya, à quelques centaines de kilomètres d’ici, à l’ouest. Konya est le cœur du soufisme, et le reste toujours, sur le plan spirituel en tout cas. Les soufis et les chrétiens occupant ces vallées sont sans doute en quelque sorte des alliés, des gens « autres », adeptes de fois différentes vivant au milieu d’un océan de musulmans sunnites.
— Allons voir la tombe, intervint Zahed, d’une voix teintée d’une certaine impatience, pour une fois.
Abdülkerim le regarda avec une tranquille résignation, puis haussa les épaules avant de murmurer :
— Par ici.
Tous trois empruntèrent en file indienne l’étroit passage à côté de l’abside latérale. La lumière naturelle venant de l’extérieur était maintenant réduite à presque rien, mais le faisceau de la lampe était assez puissant pour éclairer le plafond, travaillé d’un réseau complexe de croix sculptées en bas-relief à l’intérieur d’une grille de losanges encastrés, avant que le tout ne disparaisse dans l’ombre.
Le passage aboutissait à un escalier en colimaçon menant en contrebas. Là, un petit vestibule ouvrait sur cinq pièces. Il faisait trop sombre pour que l’on distingue quoi que ce soit au-delà du seuil. Abdülkerim les éclaira l’une après l’autre de sa lampe torche pour se repérer, puis indiqua :
— C’est celle-là.
Il les précéda dans la crypte, longue salle basse de plafond. Sur le sol à la surface plane, Tess remarqua, disposées parallèlement de part et d’autre de la salle, deux rangées de rectangles en creux. Difficilement visibles, ils n’en étaient pas moins là, creusés dans ce tuf où l’église elle-même avait tout entière
Weitere Kostenlose Bücher