La malédiction des templiers
vous vous les êtes procurées.
Le vieil abbé resta silencieux une longue seconde, méditant cette requête, sur la défensive. Puis un sourire contraint étira les coins de sa bouche.
— Et pour quelle raison, je vous prie ?
Le visage de Conrad demeura impassible, son regard toujours aussi dur.
— Elles appartenaient à mes frères.
— Vos frères ?
Le Franc tira alors de son fourreau sa propre épée à double tranchant, la posa sur la table, devant l’abbé et tapota du doigt ce qui était gravé à la base de la lame.
Le vieux moine se pencha en avant pour regarder de plus près.
Conrad indiquait la croix évasée.
— Des chevaliers templiers. Comme moi.
Sur le front de l’abbé, les rides se multiplièrent.
— Comment se sont-elles retrouvées entre vos mains ?
— Je… je ne sais pas trop. Elles sont très anciennes, vous savez. Elles étaient entreposées dans une de nos caves depuis une éternité. Mais voyez-vous, avec le gel, puis la sécheresse, nous n’avions plus de réserves de nourriture. Nous avons donc été obligés de vendre certains objets. Et, comme vous pouvez le constater, nous n’avions guère le choix à cet égard.
Décidément, ce moine faisait à Conrad très mauvaise impression.
— Et vous ne savez pas comment elles sont arrivées là ?
Le vieil abbé fit non de la tête.
— Elles sont là depuis très, très longtemps. Bien avant mon époque.
Conrad hocha pensivement la tête, tournant et retournant cette réponse, laissant entendre clairement qu’elle ne le satisfaisait guère, accentuant du même coup le malaise de son hôte.
— Vous conservez une chronique, ici, j’imagine ? demanda-t-il enfin.
La question parut surprendre son interlocuteur, qui papillota des yeux.
— Bien sûr, finit-il par admettre. Pourquoi ?
— J’aimerais la consulter.
L’abbé cligna des yeux de plus belle.
— Nos chroniques sont… Ce sont des documents privés. Je suis sûr que vous comprenez.
— Bien entendu, fit Conrad sans un sourire. Mais j’aurais tout de même besoin de les consulter. Plusieurs de mes frères ont disparu. Leur trace s’arrête ici, avec ces épées. Dans votre monastère. Je suis sûr que vous comprenez.
Les yeux du moine se posaient ici ou là dans la pièce sans jamais croiser ceux du chevalier.
— J’ai besoin de consulter vos annales depuis l’an de grâce 1203, précisa ce dernier. C’est cette année-là qu’ils ont été portés disparus. Je ne peux pas croire que le jour où leurs épées et le reste de leurs armes se sont retrouvés ici n’a pas représenté un événement digne d’être ne serait-ce que mentionné dans vos archives. Et vous m’affirmez cependant que personne ici n’a entendu parler de cet épisode ?
Conrad scruta les visages tendus des autres moines présents dans le réfectoire. Ils étaient pour la plupart jeunes et minces, avec des visages très pâles. Tous par ailleurs le regardaient fixement, les lèvres uniformément pincées, certains hochant vaguement la tête.
— Personne ? insista-t-il. Pas même votre chroniqueur ? Qui est le chroniqueur, ici ?
L’un des moines hésita, puis leva docilement une main et avança d’un pas.
— Vous n’avez pas connaissance de cet épisode ?
L’homme secoua la tête.
— Non.
Conrad se tourna alors de nouveau vers l’abbé.
— Il semblerait que nous ayons un peu de lecture devant nous.
Après une longue inspiration, le vieux moine opina du chef et ordonna à l’un des chroniqueurs d’emmener Conrad voir les livres.
— Je vous rejoindrai dans le scriptorium, dit-il au chevalier. Vous m’avez l’air bien las, frère Conrad. Je suis sûr que vous auriez besoin de vous sustenter quelque peu après votre longue chevauchée.
Dans la vaste salle aux murs aveugles, de gros candélabres portant des dizaines de chandelles éclairaient les pupitres et les étagères chargées de livres. Le chroniqueur s’approcha sans bruit de l’une d’elles, au fond de la salle, étudia les dos des codex aux reliures de cuir qui s’y trouvaient, en retira deux volumes, qu’il alla ensuite déposer sur un grand pupitre incliné avant d’inviter Conrad à les compulser.
Le chevalier franc alla chercher une chaise et entreprit de consulter les différents chapitres, à la recherche de la date qui l’intéressait. Il savait qu’Everard et ses hommes avaient quitté Tortosa au début de l’été cette année-là. Il feuilletait
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