La malédiction des templiers
journée.
Zahed n’appréciait guère de devoir reprendre le volant : il n’était pas homme à traîner en chemin, surtout pas après ses exploits au Vatican. Il aurait nettement préféré se rendre à Kayseri en avion, tout comme il aurait préféré rejoindre depuis l’Italie un aérodrome proche d’Istanbul. Mais Steyl avait écarté cette idée, même si l’un comme l’autre savaient pertinemment que l’armée turque maintenait sous étroite surveillance tous les terrains d’aviation du pays. Le Sud-Africain avait rappelé à Zahed que les risques étaient trop grands, en particulier après Rome, et Zahed n’avait pas contesté, sachant que, lorsqu’il s’agissait d’entrer dans un pays ou d’en sortir sans attirer indûment l’attention sur la cargaison illicite, quelle qu’elle fût, qui se trouvait à bord, Steyl savait ce qui était faisable et ce qui ne l’était pas. On pouvait compter sur lui pour transporter à peu près n’importe quoi dans à peu près n’importe quel pays, et pour franchir sans encombre les contrôles douaniers, comme on pouvait également compter sur lui pour qu’il ne vous débarque pas en terrain miné, métaphoriquement parlant. Ils avaient donc mis le cap un peu plus au nord et s’étaient posés en Bulgarie, précisément à Primorsko, petite station balnéaire au bord de la mer Noire. La ville disposait d’un modeste aérodrome civil – surtout pas militaire –, du genre de ceux où la question de savoir précisément qui arrivait et dans quel appareil n’était pas la préoccupation première des responsables locaux. L’endroit présentait en outre l’avantage de se trouver à une trentaine de kilomètres à peine de la frontière turque, soit à environ cinq heures de route d’Istanbul, ce qui n’avait rien d’insurmontable.
Le trajet vers leur nouvelle destination leur prendrait en revanche deux fois plus de temps, mais il n’y avait pas d’alternative. Zahed se serait volontiers épargné le cauchemar permanent de la circulation à Istanbul aux heures de pointe. Le chaos ambiant rappelait à l’Iranien les aspects les moins séduisants d’Ispahan, sa ville natale, autre cité dont les merveilles architecturales étaient passablement gâchées par le comportement dément de ses automobilistes. A la différence de son premier périple en voiture ce jour-là, lorsqu’il avait dû échapper à Reilly, il avait veillé à respecter toutes les limitations en quittant la ville, évitant de se mesurer bêtement aux chauffeurs de taxis, collectifs ou non, qui ne demandaient pourtant que cela, les laissant le doubler à des vitesses folles, conscient que le moindre accrochage pouvait avoir des conséquences désastreuses, dans la mesure où il conduisait une voiture volée et transportait un captif drogué jusqu’aux yeux.
Bien que s’étirant maintenant dans une région de collines plutôt douces, l’autoroute n’en présentait pas moins une série de virages assez serrés, et Zahed avait du mal à se détendre. Jamais il n’avait vu autant d’autobus et de camions, mastodontes surchargés fonçant à toute allure sur l’axe Istanbul-Ankara, l’ otoyol , pour reprendre le terme turc désignant l’autoroute à deux fois trois voies, sans se soucier de son revêtement souvent dangereusement inégal et ignorant avec superbe la limitation de vitesse, fixée à cent vingt kilomètres à l’heure. La Turquie avait l’un des pires taux d’accidents au monde, et la voiture qu’on lui avait louée, une Land Rover Discovery noire, idéale pour les parties hors piste de l’expédition, se révélait beaucoup trop haute pour une conduite confortable. Tel un léger voilier pris dans un coup de vent, le 4 × 4 était constamment ballotté par les poids lourds autour de lui, ce qui obligeait Zahed à donner en permanence des coups de volant pour éviter au maximum les turbulences et conserver une trajectoire rectiligne.
Comme il le faisait toujours après chaque étape d’une mission, l’Iranien passa mentalement en revue les événements qui avaient marqué celle qu’on lui avait confiée. Jusqu’à présent, il n’avait pas à se plaindre de la façon dont elle se déroulait. Il avait réussi à entrer en Turquie sans se faire remarquer. Il avait obtenu du Patriarcat les informations qu’il recherchait. Il avait échappé à Reilly qui, pourtant – mais comment ? –, avait réussi à retrouver sa trace avec une efficacité
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