La Marque du Temple
mes paroles :
« Soit. Si je ne vous ai point avoué vos liens de parenté avec ma nièce Isabeau, ce fut pour vous épargner cette terrible déception. Pensez, une vie à quérir l’impossible Graal ! Apprendre de ma bouche que vous poursuiviez votre propre sœur de vos assiduités ! Vous m’en auriez voulu à mort de vous apprendre une vérité que vous n’auriez pas voulu croire.
— Hypocrisie, hypocrisie que tout cela ! répondis-je en haussant le ton. Belle hypocrisie de veuve joyeuse que voilà ! Des raisons plus sordides ont dicté votre silence : vous saviez que si Isabeau venait à disparaître, j’hériterais du trésor des Parfaits et vous, de l’amertume de n’en jamais jouir ! Car c’est vous, c’est bien vous qui avez caché l’acte de succession avant mon arrivée. Avec l’aide de votre maigrelette et peu amène servante, assurément. De peur que je ne m’en saisisse. »
Éléonore de Guirande leva une main menaçante. La soie blanche de sa robe glissa sur son bras et dénuda une peau diaphane jusqu’à l’aisselle. Sa main se figea en l’air, sans que j’eusse à intervenir, lorsque je lui jetai à la figure :
« Non, ma Dame ! Non ! Épargnez-vous des doigts brisés ou un bras cassé. Vous ne seriez plus parée des mêmes atours pour recevoir votre chevalier servant, messire Foulques de Montfort, votre ancien prétendant. Car vous jouez mieux du plat de la main que du charme de votre esprit.
« Nos informations me laissent à penser qu’il ne devrait point tarder à se présenter devant nos portes. Je regretterais qu’il puisse douter de la façon dont je me suis acquitté de mes devoirs envers vous, ma Dame. Peut-être aura-t-il, à la parfin, le plaisir de satisfaire votre appétit charnel pour vous foutre jusqu’au coillons ? Peut-être acceptera-t-il que vous le tramiez devant le curé, la corde passée autour du col pour l’acculer à des épousailles ? À moins, qu’il n’apprenne de ma bouche votre comportement singulièrement libidineux », lui répondis-je sans courtoisie aucune.
Contrairement à toute attente, l’attitude de la châtelaine changea une nouvelle fois incontinent. Elle tourna le chef vers moi et son visage s’épanouit comme fleur de tournesol face au soleil. Telle une chienne qui salive devant un os, elle jappa d’une voix douce :
« Ah ? Ce bon Foulques viendrait-il prochainement en ce village ? Qu’a-t-il donc attendu pour se faire ainsi désirer ?
— Que la voie soit libre, ma Dame. Que les Anglais ne représentent plus une menace pour le château de Beynac dont il a la garde à titre jurable et rendable. Et que l’epydemie de Mal noir ne présente plus de risques de contagion.
— Enfin ! Il y a si longtemps que je n’ai pas goûté aux charmes de sa conversation, se plaignit-elle.
— Vous en goûterez prochaine fois. Si Dieu et les Anglais le veulent bien. Il chevauchera vers nous avec quelques écuyers et gens d’armes. Mais je crains qu’il ne réussisse point à franchir les lignes ennemies, persiflai-je.
« Sur l’heure, pardonnez-moi. Je dois tenir le rang de capitaine de céans que votre défunt mari m’a confié et que le chevalier de Montfort a confirmé », dis-je en rompant notre entretien. En vérité, je doutai que la baronne s’intéressât plus aux charmes de sa conversation qu’au désir d’exciter l’appendice qu’il portait entre les jambes. Mais, en prêchant le faux, je tenais à présent la vérité : ce n’était point Isabeau mais la baronne qui avait occulté les actes de succession avec l’aide de sa servante.
Dès le lendemain, à l’heure de none, en milieu d’après-midi, les événements se précipitèrent à la vitesse de mon étalon pur-sang au galop
Le jour des nones de novembre, soit le 5 du mois, l’avant-garde de l’armée anglaise investissait la plaine de la Beune, bannières et penoncels déployés aux armes écartelées de France et d’Angleterre. Elle reconnaissait le terrain. Une centaine de lances franches, trois cents hommes en armes. Nous étions moins d’une centaine d’hommes, plus ou moins bien entraînés. Et le gros des échelons ennemis n’était pas encore en vue.
Je levai les yeux vers le ciel. Il était sombre, pressentant grand malheur. Il était clair, mais je le voyais sombre. Pour la troisième fois de ma vie, j’eus peur. Peur pour moi. Peur de moi. N’avais-je pas entraîné tous mes compains, tous nos
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