La Marque du Temple
renoncement et flétrissure de l’âme. Je ne m’en sentais ni l’envie ni le courage.
Ne devais-je pas me rendre à raison ? Accepter de ne porter à Isabeau qu’un amour fraternel ? Et tenter d’assouvir mon appétit charnel sur, sur… Et pourquoi pas sur Marguerite ?
À moins de suivre le vœu que j’avais envisagé bien inconsidérément un certain jour devant Arnaud de la Vigerie : rester en célibat si je ne pouvais épouser Isabeau de Guirande.
J’avais cependant, au plus profond de moi, le douloureux désir de fonder une famille pour assurer la continuité du lignage de mes illustres aïeux. Et le puissant besoin d’assouvir de plus en fréquemment mes pulsions charnelles que la sournoise baronne et ma délicieuse lingère avaient réveillées, je devais bien en convenir.
Je pensais de plus en plus souvent à Marguerite. Marier une simple lingère ? Était-ce envisageable ? Elle était certes tournée d’agréable façon, sa langue était bien déliée, son instruction en constants progrès, son esprit d’une subtilité qui m’émerveillait chaque jour davantage.
Mais elle n’était qu’une roturière. Oh, je sentais bien qu’elle se contenterait de vivre à pot et à feu si je le souhaitais. Elle me ferait de magnifiques enfants, solides et bien membrés (bien naïvement, je n’imaginais point avoir de femelles pour descendance !) mais ce seraient des bâtards et je ne voulais pas leur infliger ce triste sort. D’autre part, n’avais-je pas juré de n’épouser qu’Isabeau de Guirande ?
Je m’apazimai en me disant que je n’étais plus lié par un vœu que j’avais prononcé alors que j’ignorais mes liens de parenté avec ma petite fée aux alumelles. Je pensais en outre sincèrement que Marguerite saurait veiller et protéger ma sœur si je venais à guerroyer ou à être occis. Et l’aimer avec tendresse.
Depuis deux jours, je vivais prostré, abattu, regardais mes compains d’armes sans les voir. Le chevalier Guillaume de Lebestourac s’en était inquiété : “Que diable vous arrive-t-il, messire Bertrand ? Vous errez comme une âme en peine, le dos voûté comme un âne bâté, le regard vague ou fuyant, l’air triste et maussade… De quoi démoraliser une garnison ! La nôtre. Or, ce n’est point l’heure. Vous n’êtes plus que l’ombre de vous-même. Ressaisissez-vous à la parfin, avant que nos affaires prennent mauvaise figure. Si ce n’est pour vous, faites-le pour nous qui avions grande confiance en votre sagesse !”
La leçon porta lentement ses fruits. Je pris peu à peu conscience que, bouffi d’orgueil, je m’étais apitoyé sur moi-même, révolté à l’idée que le vie ne se pliât pas à mes caprices les plus égoïstes. Au point de mettre en péril celle de mes gens.
Dans un moment de lucidité qui me flatta et me dépita tout à la fois, je me ressaisis incontinent, soudain avide d’en découdre avec la bataille anglaise. Il m’arrivait de plus en plus souvent, ces derniers temps, de passer de l’abattement à l’exaltation. Trop rapidement en vérité.
Devais-je à mon caractère cette trop prompte aptitude à passer de l’ombre à la lumière, à m’enchefriner dans une sombre mélancolie avant de saisir l’obstacle à bras le corps pour le surmonter ? Et faire front derechef pour affronter de nouvelles embûches, l’esprit serein, sûr de moi, de ma capacité à écraser l’adversité pour croquer la vie à belles dents ? À rejeter les ténèbres qui tentaient de m’engloutir dans le voragine d’une petite mort sans fin ? Je ne savais, mais ma décision était prise. Enfin, presque. Il était temps.
Le lendemain matin, à l’heure des laudes, le jour venait à peine de se lever. Un chevalier et deux écuyers se présentèrent devant la barbacane, un penonceau blanc déployé sur la hampe de leur lance, mézail relevé. Ils arboraient cette fois, les armes de France et d’Angleterre. Écartelé d’azur et de gueules à trois lys et aux léopards d’or.
Je les reconnus incontinent : ils appartenaient au sire de Castelnaud de Beynac ! Iceux mêmes qui avaient tenté de faire mainmise sur ma personne sur ordre de leur maître.
« Qui commande cette modeste place ? s’enquit le chevalier sur un ton péremptoire et d’une voix rocailleuse.
— Messire Brachet de Born, le premier écuyer du baron de Beynac, en son absence.
— Et vous, qui êtes-vous ?
— Je suis le capitaine
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