La Marque du Temple
premier clerc notaire, ont été dénombrées les réserves en vivres, en boissons, en animaux et autres bêtes sur pied, en volatiles, en poissons…
— Abrège, Jules ; viens-en aux faits », intervint le baron.
Il est vrai que le clerc phrasait long, conformément à son habitude.
« … pour rendre compte d’iceux et les déclarer tenir pour vrai audit registre de la baronnie.
« Selon l’état du cellier :
« 78 miches de pain noir,
« 29 miches de pain blanc,
« 302 magrets fûmés,
« 137 jambons salés et fumés lors du dernier hiver,
« Une vingtaine de pâtés de lièvre et d’anguille,
« 7 sixièmes de fèves et de poids chiches, soit 35 mesures,
« 1 cent de poissons séchés (harengs en caques et merlus),
« 2 cents d’anguilles fumées,
« 1/4 de cent de pommes fripées ou pourries…
— Et c’est pour consigner la pourriture que tu utilises mon meilleur parchemin ? Pourquoi pas du veelin, à la parfin ! s’exclama le baron.
— Le veelin ne se gratte point messire !
— Cesse de m’embufer. Tu es par trop niais pour un clerc : on voit bien que tu ne tiens pas les cordons de la bougette. Il n’y a point de richeté en la baronnie que l’on ne puisse éviter de telles gaspilleries !
— Du veelin, qu’est-ce ? me demanda Louise.
— De la peau de veel mort-né, un nouveau support de qualité pour gratter la plume que les clercs commencent à utiliser pour leurs copies et les enluminures, chuchotai-je tandis que Jules Faucheux poursuivait la lecture de son acte :
« 1 jarre de lait de vache,
« 1/2 jarre de lait de brebis,
— Louise, faites-en des fromages.
— Bien, messire baron.
« 1 tonnel de sel,
« 1 muid de blé,
« 5 boisseaux d’orge et de seigle, soit 35 mesures, sans décompter les mesures avariées par la présence de charançons.
« Selon l’état de la cave :
« 3 tonnels de cervoise,
« 13 barils de vin, soit 4 en vin du pays de Bergerac, 5 en vin du pays de Bordeaux, 1 en vin du duché de Bourgogne, 1½ en vin des pays d’Anjou, de Maine et de Loire et 2 en vin de la commanderie hospitalière de Chypre, cadeau que vous fit le roi Hugues IV de Lusignan,…
— Parle-nous plutôt de l’état de la citerne.
— Làs, messire, la citerne est aux trois quarts vide. Alors, s’il ne pleut pas prochainement, les gargouilles des toits ne l’alimenteront pas en bonne eau du ciel et il ne restera qu’eau croupie avec moult grands risques de colique et dissenterie…
— Ne t’inquiète donc point : avant quelques jours, le ciel tonnera comme tu ne l’as jamais entendu. L’orage grondera, Dieu roulera ses barriques et il pissera plus roide que lors du déluge ! En attendant, fais toujours brouillir l’eau.
« Louise, soyons toutefois prudents : que dorénavant le vin soit compté à demi-mesure d’eau et l’eau servie avant le vin ; 1/2 pinte de cervoise au dîner et 1/4 de pinte de vin au souper. Jusqu’à nouvel ordre ! »
« Et toi, Jules, consigne toutes mes instructions : les paroles passent, les écrits restent ! »
S’en suivit le comptage des chapons, poulets du poulailler, des faisans, cygnes, paons, perdrix et pigeons du volailler.
« Sans compter les gerfauts, éperviers et faucons, ni les pigeons voyageurs…
— Si d’aucuns touchent à un seul de ces volatiles, je jure par-devant Dieu que je le leur ferai avaler tout cru avec les plumes, les os et les entrailles ! » avertit le baron.
Nous nous esclaffâmes de bon cœur à cette saillie. Elle détendait la tension qui régnait dans la salle.
« Ce n’est point saillie, rétorqua le baron, d’un air sévère. C’est simple avertissement ! De quand datent les dernières livraisons des marchands ?
— D’un peu moins d’une semaine, intervint Michel de Ferregaye, le capitaine d’armes de la place.
— Prions pour que ces vivres ne soient pas porteurs du Mal noir ! »
Un silence de plomb suivit cette remarque. Le baron nous rappelait la triste réalité : mourir de faim ou risquer la contamination par l’epydemie. Crever en tous les cas.
« Or donc, nous prendrons le risque, bien sûr ! Jules, poursuis la lecture. »
Un sergent surgit brusquement dans la cuisine en traînant derrière lui Gros-Jean, un jeune et grassouillet valet de cuisine qu’il tenait fermement par le bras :
« Messire baron, je viens de surprendre ce coquardeau qui tentait de dérober trois jambons ! »
Le valet
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