La Marque du Temple
ce cas, il conviendrait d’ôter 540 dîners et soupers, soit 1.080 repas. Resteraient 22.320 repas à assurer.
— Par Sainte-Solange, pourvu qu’il pleuve ! Louise, nous n’avons de réserves que pour un mois, tout au plus. Par voie de conséquence, que là où tu servais quatre plats, il n’en soit plus servi dorénavant que deux. Pour tout le monde. Au dîner seulement. Point de souper. Qui dort ne soupe point. Comme nos manants en période de disette.
« Pour tous les gens du château. Pour moi aussi. Nous prendrons carême avant l’heure. Et si nous venions à manquer, nous équarisserions un cheval sur deux, voire… voire mes chiens de meute, s’il le fallait. En dernier recours, envisagea-t-il contrit.
« Jules, as-tu pris bonnes et solides notes d’icela ? En aurais-tu terminé avec tes lectures ?
— Messire baron, je n’ai point encore parlé de nos réserves en onces d’épices, de cannelle, de cumin, d’anis, de poivre, de coriandre, de gingembre, de clous de girofle et autres sarrasins. Souhaitez-vous en entendre le décompte ?
— Non, parle-moi plutôt des réserves de son, de grain et d’avoine pour les porcs, les chevaux et la volaille !
— Nous disposons de quelques muids d’avoine et de grains pour deux mois de nourriture et d’autant de chambrées de foin que de paille. »
Le baron fronça les sourcils une nouvelle fois. Comment nourrir, abreuver les animaux et changer les litières si la quarantaine venait à durer plus de deux mois ?
« Réduisez les portions ! Michel de Ferregaye, êtes-vous revenu ?
— Oui, messire. Vos instructions ont été exécutées. Les paysans sont repartis avec les jambons, le cochon et Gros-Jean par devant.
— Bien. Portez sur l’heure les instructions que je viens de dicter au clerc à tous les maîtres de la garnison. Qu’ils le fassent savoir à tous les sergents, valets et serviteurs. Et ne leur demandez pas de comprendre pourquoi de telles privations, ils cesseraient d’obéir.
« Quant à vous deux, messire Foulques et toi Bertrand, rejoignez-moi en la librairie du logis. J’ai deux mots à vous dire : je dois vous soumettre derechef à la question. »
Lorsqu’il vit nos visages défaits, il précisa, un léger sourire à la commissure des lèvres :
« À la question ordinaire, toutefois… » Mais ses yeux restèrent froids et la balèvre qu’il portait à la joue, toujours aussi blanche.
Pour deux mots à échanger, nous veillâmes jusqu’aux laudes. La librairie nichée en le logis seigneurial était éclairée par la maigre lumière que diffusaient trois chandelles de suif.
Ce n’est que vers les laudes qu’il fut convenu que je quitterais le château de Beynac avant sexte pour tenter de gagner la forteresse de Commarque par des voies souterraines qui reliaient les deux châteaux et qui n’étaient connues que de Michel de Ferregaye et du baron. Je devrais y résider jusqu’à l’arrivée du baron et du chevalier de Montfort, dans quelque temps. Lorsqu’ils jugeraient possible de rejoindre la seigneurie de Commarque par des voies plus hautes.
Entretemps, le baron Pons de Beynac m’avait confié un sauf alant et venant pour le capitaine de la garnison et un ordre de mission. Il y était écrit que moi, Bertrand Brachet de Born, simple écuyer à son service, disposais de pouvoirs d’investigation et de commandement étendus et devais m’assurer de la personne de Dame Éléonore de Guirande, l’épouse dont il vivait séparé. Je répondrais d’elle sur ma vie. Le tout était revêtu de son seing et de son sceau burelé d’or et de gueules de dix pièces.
Voir enfin Isabeau de Guirande, ma gente fée aux allumelles, dont il m’avoua qu’elle était sa nièce par alliance (je le savais déjà depuis ma rencontre avec le héraut de la commanderie hospitalière de Châtel-Rouge, en l’île de Chypres {vi} ) mettait un terme à plus de trois ans de recherches assidues et aurait dû me combler de bonheur. J’étais sur le point de parvenir à mes fins.
Làs, j’étais en grand désarroi, que dis-je, accablé à l’idée de devoir instruire en grand secret une enquête privée dont j’avais pourtant si ardemment souhaité la conduite.
Une enquête sur ce qui pourrait bien s’avérer comme étant le plus grand crime commis depuis la nuit des temps.
Un crime monstrueux qui, très certainement, n ’ aurait pu voir le jour sans la complicité de gens de
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