La Marque du Temple
fauve :
« Par le Sang-Dieu, dix jours de cachot pour toi. Au pain et à l’eau ! Capitaine d’armes, assurez-vous incontinent de la personne du second écuyer et mettez-lui les fers ! Ce niquedouille conservera son bliaud de soie ! L’odeur du crottin de cheval lui tiendra compagnie. Il empeste comme une charogne !
« Lorsqu’il aura purgé sa peine, qu’il regarde dorénavant sur quoi il marche avant de courir avec tant de précipitation. Puisqu’il aime le fumier de cheval, il rejoindra les palefreniers dont il partagera le pain, l’eau, le travail, la sueur et les odeurs jusqu’aux calendes de septembre. Et qu’à l’avenir, il ne chausse plus ses poulaines pendant son service. Il n’est point à la cour du roi de France, ici, que diable ! » Puis, plus bas :
« J’ai grand déprisement pour icelui. On peut empêcher les cloches de sonner, un coq de chanter, mais on n’empêchera jamais un âne de braire… »
Arnaud plissa ses beaux yeux en amandes. Ses pupilles rétrécies lancèrent des éclairs. Il s’amalit, mais il ravala quelque répartie cinglante et s’accoisa, tout en soutenant avec insolence le regard du baron, les pouces négligemment glissés sous le ceinturon. Avant que Michel de Ferregaye ne l’invite à le suivre.
Le chevalier Foulques de Montfort jeta à Arnaud un regard glacial, leva les yeux au plafond, détourna la tête et serra les dents. Le baron reprit :
« Si un seul d’entre vous, de vos valets ou de vos gens d’armes enfreint la consigne, il sera pendu ! »
Silence de mort. Personne ne doutait que la menace fût prononcée à la légère. Le baron Fulbert Pons de Beynac savait être magnanime en certaines circonstances. Mais nous savions qu’en l’affaire, il saurait se montrer impitoyable si on ne lui obéissait pas à la lettre. Il poursuivit d’une voix blanche :
« Ne laissez pénétrer, voire approcher de trop près des portes ou des courtines de la ville et du château, ni vivre, ni boisson, ni animal au sang chaud. Aucune marchandise. Ne sait-on jamais. » Gontran Bouyssou posa une ultime question. Tous les regards espinchèrent aussitôt vers le maître des lieux :
« Que redoutez-vous, messire, pour ordonner mesures aussi graves ? »
Après avoir pris sa respiration, le baron affirma d’une voix redevenue claire et calme :
« Je redoute l’arrivée du Mal noir en notre comté. Tous les sinthomes convergent. Que saint Bruno nous protège ! »
Louis, qui s’était retenu jusqu’à présent, éclata en sanglots. Sa femme, qui était tisserande, et les deux fils qui avaient survécu sur cinq naissances vivaient en bas à une lieue et demie à l’extérieur de la première enceinte.
Dans la salle des Gardes, tous portaient déjà le deuil. Même Étienne Desparssac, le maître des arbalétriers, le boute-en-train, avait blêmi : on n’avait pas connu d’epydemie de pestilence depuis plus de sept cents ans en le royaume de France !
Sébastien Tordcol eut les larmes aux yeux. Il logeait chez ses parents, en le village de Montfort, à une ou deux lieues de la forteresse. Plusieurs autres dans la salle eurent les yeux brillants, la nuque moite, le visage couvert de suances froides. Les moins aguerris tremblèrent de la tête aux pieds.
Moi, Bertrand Brachet de Born, premier écuyer du baron de Beynac, j’avais déjà participé, comme la plupart de mes compains, à quelques chevauchées armées et taillé de l’Anglais. Je n’avais ni femme ni enfant, ni parent au dehors.
Ces trois dernières années, j’avais vécu des événements tragiques. Ils m’avaient forgé le caractère : parti adolescent en Terre d’Orient, j’étais devenu un homme à mon retour en pays d’oc.
Certes, je songeai à Isabeau de Guirande, ma gente fée aux alumelles qui vivait à quelques lieues de moi, sans que j’eusse pu faire encore sa connaissance. Mais je savais que le moment approchait. Le baron m’ouvrirait prochainement les portes de sa seigneurie de Commarque où elle résidait. Or donc, sur l’heure, ce fut vers elle que volèrent mes tristes pensées et mes prières silencieuses :
Un matin, au lever , je vis dans un miroir
Que par simple maladresse, je laissais choir,
Le visage de celle qui dans mon rêve
Me proposait de croquer la pomme d’Ève.
Tous les soirs, je lui voyais grandes qualités
Que chaque matin, je tentais d’occulter.
L’image lumineuse d’une Guirande,
Que je pensais
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