La Marque du Temple
seulement ? Restaient à découvrir la mystérieuse énigme des douze Maisons , la curieuse phrase écrite en langue sarrasine et la suite du mot de passe (qu’elle devait connaître). Et confondre les partis de tous bords qui tentaient de s’approprier les fioles. Moi seul savais où se trouvaient les deux dernières d’icelles. L’eau et le sang du Christ. Un autre Graal.
Mais cette série de meurtres, de félonies, cette effroyable epydemie de pestilence ? Quels partis aux intérêts rivaux ou farouchement opposés les avaient-ils commandités ? Si mon hypothèse d’un gigantesque complot s’avérait exacte, un formidable bouleversement politique et religieux ne sourdait-il pas à l’horizon ? Susceptible de faire chanceler nos croyances les plus sacrées ?
Marguerite savait de longue date qu’Isabeau était ma sœur. Son jardin secret, avait-elle reconnu. En fait, toute la garnison le savait. Sauf moi. Mais personne ne me l’avait avoué de crainte des représailles du baron de Beynac.
Marguerite m’avait rejoint à l’heure des laudes, tôt ce matin. À bout de force, les traits tirés, de profonds cernes sous les yeux. J’avais ôté sa chainse rougie par le sang des autres, procédé à une toilette sommaire, l’avais posée avec moult délicatesses sur notre lit, l’avait couverte de plusieurs peaux de renard et de doux baisers.
J’avais attisé le feu dans la cheminée. Sur la petite table, à côté, deux éperons d’or brillaient d’un bel éclat. Elle ne les avait pas vus. Elle ignorait que son époux avait été élevé au rang de chevalier bachelier. Armé sur le champ de bataille.
Peu importait sur l’heure. Un trésor bien plus précieux reposait près de moi, allongé, les yeux mi-clos, la respiration douce et régulière. Avant qu’elle ne s’endorme dans mes bras, j’avais murmuré : “Triste nuit de noces, mon bel amour !” Elle avait chuchoté : “Oui, mais belle victoire, mon bien-aimé mari !”
Je musardais sur le donjon. J’observais les préparatifs de siège. Mon regard plongeait dans la vallée. Les batailles ennemies estravaient leurs pavillons par-deçà la vallée de la Beune, l’envahissaient, la couvrant de leurs tentes dressées à moins de deux portées d’arbalète.
Les pièces de leurs mangonneaux étaient déchargées des charrois. Les charpentiers s’activaient. Ils assemblaient les verges sur le fût. Le fût sur le socle, et les contre-poids sur les verges.
J’étais cependant calme et serein. Nos machines de guerre, nos engins de jet, dissimulés sous de nombreux branchages, étaient prêts à déverser un déluge de feu, de pierres et de chausses-trappes.
L’ours, selon une ancienne légende, rentrait chaque année en hibernation avant la Saint-Martin, le 11 novembre.
Nous étions à six jours des ides de novembre, le 7 novembre 1348. Nous étions prêts. J’étais confiant
Nous savons que nous sommes de Dieu
Et que le monde entier est sous la puissance du Malin.
Épitre de saint Jean (15 : 19)
EPILOGUE
Abbaye d’Obazine, en l’an de grâce MCCCLXXXI, le jour des nones de janvier, jour de l’Épiphanie, entre complies et matines {xxxiii} .
La lune ronde éclairait d’une lueur blafarde les abords de l’abbaye. Sous l’effet d’un fort vent de norois, les branches des arbres dansaient une étrange gigue. Les troncs semblaient avancer, reculer, telle une monstrueuse armée de fantômes qui se tiendraient par la main puis gifleraient l’ennemi d’une poudre blanche et verglacée, avant de l’enlacer dans une étreinte mortelle.
À nouveau coiffé de son capuchon de laine blanche, l’inconnu prenait connaissance, lettre après lettre, mot après mot, phrase après phrase, du texte écrit de secrète manière par celui qui le lui avait destiné sans savoir s’il parviendrait jamais à en pénétrer l’étonnante alchimie. Mais l’inconnu y était parvenu. Il découvrait avec stupeur, avec effroi, les terribles conséquences qui résulteraient de sa révélation au grand jour. Il en vint à douter à plusieurs reprises de la bonne foi de l’auteur. Mais les faits étaient là, les témoignages, les explications, d’une évidente, d’une lumineuse clarté.
Le manuscrit révélait qu’un gigantesque complot avait été ourdi à des fins politiques, militaires et religieuses. Il était de nature à saper les fondements de croyances séculaires parmi les
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