La Marque du Temple
l’Église : Pecunia pecuniam non paruit , l’argent ne peut engendrer l’argent, ont affirmé saint Thomas d’Aquin et les pères de l’Église.
— Ce qui n’a point empêché d’aucuns qui étaient dans le besoin de faire appel à eux. Rois, papes et moult grands seigneurs. À l’occasion. Et les occasions ne manquaient pas, persiflai-je avant de poursuivre :
« Lorsque le poids des dettes pèse trop lourd sur l’échine de ceux qui les ont sollicitées, on chagrine d’abord les intérêts, puis on rogne l’aloi des monnaies.
« Si ces mesures ne suffisent point à réduire le poids du fardeau, on déclare les prêteurs impies à la parfin, pour mieux les brûler sur le bûcher et sanctifier le péché que l’on a commis, croyant ainsi se purifier aux yeux du Ciel d’avoir par trop fait mauvais usage des pièces d’or ou d’argent qui appartenaient à d’aucuns qui les avaient baillées.
« Et l’on raye de ses registres, d’un trait de plume, ce que l’on doit lorsque cens, champarts et autres tailles ne sont pas assez gras et dodus pour rédimer le capital et bailler les intérêts aux prêteurs.
— Tout un chacun connaît les risques qu’encourt un usurier, rétorqua le baron.
— Croyez-vous, messire ? Quels sont donc les vôtres ? osai-je dire, tout en me mordant les lèvres. Un peu tard. Le baron ne s’offusqua pas de mon insolence.
« Aucun, Bertrand. Rassure-toi, aucun ! J’en redoute trop les conséquences pour risquer mes terres et mes seigneuries pour les avoir données en gage à réméré ! Mes biens me suffisent sur l’heur et n’ai point besoin de solliciter l’obole de quelque usurier ! Qu’il soit Juif ou Lombard. D’autant que ces profiteurs sont bons juristes…
— À Dieu ne plaise, mon maître, nous nous en réjouissons de bonne grâce », s’esclaffa Foulques de Montfort, non sans ironie. Les dix-huit mil florins d’or qu’il avait baillés au baron sur sa bougette personnelle lui restaient en travers du gosier.
« Les Juifs ont grand sens des affaires d’argent. Ils l’ont dans le sang. Peut-on le leur reprocher ? Ils sont réhabilités sitôt que l’on pressent avoir besoin d’eux », répondis-je.
Décidément, leur parti pris m’escagaçait.
« Tu seras peut-être bien aise d’apprendre un jour que je ne fis jamais affaire avec eux ! » rétorqua le baron en me jetant un coup d’œil.
Sur le coup, je ne saisis pas le sens de cette allusion et poursuivis outre :
« Quel intérêt les Juifs auraient-ils à répandre cette épouvantable epydemie parmi nous ? Pour couper la branche sur laquelle est assise leur fortune depuis des siècles ? Ils vivent partout alentour parmi nous et ne disposent point, à mon avis, de quelque antidote assez puissant pour épargner leur vie, affirmai-je.
— Je n’avais point songé à cette idée, messire de Beynac. Mais elle mérite réflexion », s’exclama Foulques de Montfort, passant outre à mes arguments contraires.
Il n’aurait pas dû, en l’espèce, faire preuve de pareille hypocrisie. Je savais qu’il n’en pensait rien, mais il était allé trop loin. Je répliquai en m’adressant à mes deux interlocuteurs :
« Une question, mes beaux seigneurs. Permettez-moi de poser une seule question : Assassins ou Juifs, comment auraient-ils pu avoir connaissance du pouvoir maléfique de ces fioles ? »
Foulques de Montfort expliqua que ces fioles étaient conservées en Palestine depuis des temps immémoriaux. Le frère Joseph de Jérusalem ne les avait-il pas acquises des mains d’un marchand dont on ne savait s’il était juif, turc, égyptien ou syrien ?
« Ou chrétien… l’interrompis-je. Foulques m’ignora :
— Pour le prix exorbitant de quarante-neuf mil besants d’or. Et encore, après avoir mené négoce à la mode levantine.
« Ce marchand pouvait avoir eu connaissance de l’exact contenu des marchandises qu’il vendait. N’aurait-il pas abusé de la bonne foi du frère Joseph pour lui céder à prix d’or ce qui n’était que poison mortel ?
— Si un complot avait été fromenté, comment ses instigateurs auraient-ils pu savoir que le maître de la Pignotte les avait récupérées en la commanderie hospitalière de Châtel-Rouge ? répondis-je.
— Tout cela n’est que simple conjecture, intervint le baron de Beynac. En premier lieu, sommes-nous sûrs, avant d’en débattre plus avant, que ces fioles contiennent le Mal
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